Institut des Hautes Etudes de l'Amérique latine
Centre de recherche et de documentation sur les Amériques

3 questions à Benito Schmidt sur les 50 ans du coup d'Etat au Brésil

Benito Schmidt, professeur invité à l'IHEAL- Traduit du portugais du Brésil par Philippe Roman

L'année 2014 marque les 50 ans du coup d’État qui a instauré la dictature au Brésil. Quelles sont les répercussions de cet "anniversaire" dans la société brésilienne?

Les répercussions de cet événement sont très importantes, en premier lieu dans le milieu universitaire : de nombreux séminaires sont en cours ou vont avoir lieu, plusieurs livres et numéros de revues académiques sont en train d'être publiés, et l'on observe un intérêt soutenu des étudiants pour les sujets liés à la dictature. Il est significatif de noter qu'il n'y a pas que les thèmes classiques de la répression gouvernementale (torture, censure, espionnage...) et des résistances de groupes armés qui ont attiré l'attention des chercheurs, mais aussi l'appui ou la passivité de différents secteurs de la société civile, comme l’Église, les classes moyennes, les universités, la presse, quelques secteurs du mouvement syndical, etc. A tel point que l'expression de plus en plus employée pour caractériser la période est "dictature civile-militaire". En termes plus larges, les milieux politiques, la presse et les réseaux sociaux ont pas mal discuté de ce sujet. Il est aussi intéressant (et préoccupant) de remarquer que nombreuses sont les voix qui manifestent publiquement de la sympathie pour l'"époque de la dictature", comme si pendant cette période la corruption et la violence urbaine n'avaient pas existé (ce qui est faux, bien évidemment). On parle aussi de la "dictature du PT", "en oubliant" qu'aussi bien Lula que Dilma ont été élus démocratiquement. D'un autre côté, divers mouvements sociaux, comme ceux qui ont manifesté en juin de l'année passée et qui maintenant se mobilisent contre la Coupe du Monde, évoquent la mémoire de la dictature lorsqu'ils se prononcent sur des thèmes actuels, comme par exemple la brutalité de la police qui réprime violemment les manifestations. Enfin, le gouvernement fédéral parle peu des 50 ans du coup d’État.

Quelle est la raison de ce silence?

La présidente Dilma a été active dans des organisations armées qui ont combattu la dictature. Elle a été fortement attaquée sur ce sujet pendant sa première campagne électorale. Sur internet, de faux documents ont circulé. Ils disaient qu'elle avait perpétré des braquages de banque et planifié des séquestrations. Face à ces attaques, elle a affirmé qu'elle n'avait jamais pris les armes et qu'elle ne s'occupait que de la partie logistique des organisations. Évidemment, on peut comprendre cette position à l'époque qui est la nôtre, dans laquelle l'usage de la violence comme moyen de conquérir le pouvoir est vu comme quelque chose de condamnable, au contraire des décennies 1960 et 1970. De plus, de nombreux ex-militants de la lutte armée qui sont aujourd'hui au pouvoir, y compris Dilma, ont attribué une signification nouvelle à leur passé, en remettant la lutte armée au sein d'un processus plus ample qui a conduit à la redémocratisation du pays. Il convient de souligner, cependant, que ces organisations ne luttaient pas pour la démocratie (dans son sens libéral), mais pour l'avènement du socialisme.

Comment avancent les travaux de la Commission Nationale de la Vérité?

La CNV a été instaurée en 2012 et elle doit finaliser ses travaux d'ici la fin de l'année. De nombreuses critiques sont adressées à la Commission de la part de la droite aussi bien que de la gauche. A droite, ce sont surtout les militaires qui l'accusent d'être "revancharde" ; à gauche, en particulier les groupes liés à la défense des droits de l'Homme, signalent l'insuffisance des ressources humaines et matérielles dont dispose la Commission pour attester les crimes commis par les agents de la répression gouvernementale pendant la dictature et, par-dessus tout, le fait qu'elle n'a pas le pouvoir de juger les coupables. De mon côté, je crois qu'il est possible que le rapport de la CNV incite la Cour Suprême Fédérale (Supremo Tribunal Federal) à se prononcer pour la révision de la Loi d'Amnistie de 1979, promulguée sous la dictature, qui a aussi amnistié les personnes qui se sont rendues coupables d'actes de torture. La plus haute instance du Pouvoir Judiciaire au Brésil s'est déjà prononcée, en 2010, contre cette révision, mais peut encore changer d'avis en fonction de la pression des mouvements sociaux. En plus, la Cour compte aujourd'hui de nouveaux membres plus "à gauche". Il est important de souligner également que les travaux de la CNV ont motivé la création de nouvelles commissions similaires dans les états, organismes publics, universités, syndicats, entreprises, etc., ce qui a beaucoup contribué à ce que nous reconnaissions mieux ce "passé qui ne veut pas passer", comme le dit l'historien français Henry Rousso.

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