Institut des Hautes Etudes de l'Amérique latine
Centre de recherche et de documentation sur les Amériques

4 questions à Florent Kohler sur les sciences participatives

Florent Kohler

Pourquoi les sciences participatives ont-elles pris une telle importance aujourd'hui?
La science est à l'image - et au service - de la société, et se doit de répondre à une exigence de transparence. S'il ne faut pas sombrer dans une forme de démagogie qui appellerait l'opinion publique à valider les accords du participe passé où le constat du dérèglement climatique, il faut aussi se rappeler que nombre d'enquêtes menées par des scientifiques concernent le niveau local ou peuvent avoir des impacts locaux. Nous sommes, de gré ou de force, impliqués dans les processus de gouvernance locale, à titre d'experts ou de conseils le plus souvent. De plus les données que nous réunissons - par le biais de questionnaires, d'inventaires, de recherches d'archives - ne pourraient l'être sans l'accord et la bonne volonté des citoyens concernés. Finalement, toujours dans cette optique de gouvernance locale, une restitution des données doit avoir lieu à un moment ou à un autre.

Qu'appelez vous "restitution"?
Il serait cavalier, à l'issue de nos terrains, de nous contenter d'envoyer nos articles ou publications spécialisées aux populations concernées: il faut travailler nos données de manière à ce qu'elles soient intelligibles, permettent à la fois une prise de conscience des enjeux soulevés - par exemple sur des questions d'aménagement en vue d'une restauration des couloirs biologiques - et une orientation pour les politiques à venir. C'est l'essence même du processus participatif que de favoriser les contacts entre scientifiques et citoyens. Ces derniers ont trop souvent l'image de scientifiques vêtus de blouses blanches agitant des éprouvettes, ou de vieillards pontifiant sur fond de murs tapissés de bouquins. Il nous faut donc exposer nos méthodes en les expliquant, étape par étape, et en rendant compte régulièrement aux populations par le biais de réunions publiques. Celles-ci peuvent être organisées par des municipalités, des associations... L'expérience nous enseigne que ces réunions sont essentielles pour dissiper les doutes, écarter les éventuelles suspicions, mais aussi pour susciter des débats internes, qui peuvent se poursuivre après notre départ. Une part importante des prises de conscience que nous sommes susceptibles de provoquer reposent sur la dimension comparative - nous exposons dans une commune, par exemple, les conclusions portant sur d'autres communes, éventuellement situées dans d'autres pays - mais aussi sur notre capacité à rapporter nos données à des enjeux concrets.

Dans un cahier consacré aux Amériques Latines, n'est-il pas surprenant de voir figurer trois articles sur des terrains français?J'évoquais plus haut la question de l'expertise et de l'orientation des politiques publiques. Or la plupart de nos terrains sont situés en Amérique latine, tandis que nos équipes sont majoritairement sous la responsabilité de chercheurs français, avec des sources de financement françaises. Ceci n'affecte pas notre crédibilité; mais notre légitimité, oui, certainement. Survient toujours un moment où les communautés concernées rejettent l'expertise au nom de l’immixtion dans des affaires locales ou dans une poussée d'allergie à tout ce qui pourrait ressembler à de la technocratie, notamment en France. Au niveau institutionnel, le Brésil, quant à lui, est extrêmement sourcilleux dès lors qu'il s'agit de recueillir des savoirs locaux; quant à pratiquer des inventaires de biodiversité en Amazonie, nem pensar! Nous marchons donc sur des œufs, et des exemples tirés exclusivement de terrains américains ne nous auraient pas permis, dans ce numéro des CAL, d'exposer le processus complet, c'est-à-dire les allers-retours qui doivent - normalement - se produire entre la communauté scientifique et les populations considérées. Toutefois, deux articles (celui de Sébastien Hardy et celui João Correia et al.) portant l'un sur le Pérou, l'autre sur le Brésil, exposent des démarches participatives dans leur intégralité, cependant que celui de Stoll et Folhes permet de prendre un peu de recul en exposant les effets indésirables de la mise en concurrence des communautés, chacune "recrutant" ses propres scientifiques.

L'écologie occupe une large place dans les articles publiés. Pourquoi?
On pourra en effet s'étonner de voir un article signé par des écologues (celui de Couvet et Teyssèdre, du Muséum d'Histoire Naturelle), et une prédominance de la thématique écologique alors que cette revue est consacrée aux Sciences Humaines et Sociales.Nous évoquons ce point assez longuement dans l'introduction au volume, mais pour répondre brièvement, toutes les questions, ou presque, touchant aux rapports des humains entre eux peuvent être résolus par les tribunaux ad hoc. L'environnement - ce que nous appelons "la nature" - est le seul à ne pas être légalement représenté. C'est donc à l'interface entre nature et société que notre intervention est la plus utile - cette opinion n'engageant évidemment que moi.
 

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