Edito
Trump et Cuba. Entre business économique et chantage politique
Trump et Cuba. Entre business économique et chantage politique
Depuis son élection, le président Donald Trump et ses conseillers n’ont cessé de le répéter : la politique de l’administration américaine envers Cuba fait l’objet d’une révision complète (« full review »). Cette réévaluation est en cours. Pendant la campagne présidentielle, les candidats républicains d’origine cubaine, Marco Rubio aujourd’hui sénateur de Floride et le sénateur texan Ted Cruz, l’avaient martelé : Barack Obama a fait trop de concessions et n’a rien obtenu en échange. Les dernières déclarations de D. Trump confirment cette orientation. Autrement dit, La Havane doit faire des concessions politiques substantielles si elle veut obtenir la levée, même partielle, de l’embargo vieux de plus d’un demi-siècle. Ce sera donc donnant-donnant. Plus facile à dire qu’à réaliser.
Les positions de D. Trump concernant Cuba ont varié au gré de ses intérêts du moment. Dans les années 2000, voulant profiter de l’essor du tourisme à Cuba, il avait cherché à y investir en contournant l’embargo. En 2015, il avait appuyé le rétablissement des relations diplomatiques avec La Havane. Mais, confronté à la nécessité de gagner la Floride, un Etat-clé pour l’élection présidentielle, il avait adapté son discours aux exigences des Cubano-Américains les plus hostiles à la normalisation diplomatique engagée par Barack Obama. Il s’était ainsi rapproché du Républicain Marco Rubio, gagnant de la sorte le vote de cet Etat grâce aux suffrages majoritaires des Cubano-Américains.
Plus de deux mois après son entrée en fonction, aucune décision significative n’a encore été prise. Il est vrai que Cuba n’est pas une priorité pour une administration américaine aux prises avec de nombreuses tensions politiques et diplomatiques. Néanmoins, les premiers discours officiels donnent une indication assez claire du cours politique que la Maison Blanche entend suivre. Le 11 janvier 2017, Rex Tillerson déclarait lors de son audition sénatoriale comme nouveau secrétaire d’Etat : « Les dirigeants cubains ont beaucoup reçu,   le peuple non. Nous devons exiger qu’ils rendent des comptes en matière de droits de l’homme ». Il évoquait aussi le retour de Cuba sur la liste des Etats terroristes (mesure qui avait été annulée par B. Obama) et  la possibilité d’un véto présidentiel en cas de vote au Congrès pour lever l’embargo. Le 3 février 2017, Sean Spicer, porte-parole de la Maison Blanche, confirmait la priorité donnée aux droits de l’homme. Le 16 février, D. Trump lui-même tweetait : « Nous avons dîné avec M . Rubio et son adorable épouse et nous avons des idées très semblables sur Cuba », menaçant d’annuler les décrets de B. Obama si les prisonniers d’opinion n’étaient pas libérés et si des élections pluralistes n’étaient pas organisées. Enfin, le 8 mars, la conseillère spéciale de D. Trump, la nicaraguayenne Helen Aguirre Ferré, réaffirmait que « Cuba avait reçu trop de cadeaux sans contrepartie ».
           Il s’agit donc de prendre le contrepied de la politique suivie par Barack Obama. L’ancien président, adepte du « soft power », avait décidé d’intervenir unilatéralement et n’avait pas mis de condition au rétablissement des relations diplomatiques. Une politique à long terme envers Cuba, mais aussi un message adressé à toute l’Amérique latine. L’objectif était, dans le contexte des réformes économiques en cours, d’appuyer le secteur privé émergent, de développer les échanges, le tourisme, les télécommunications, l’accès à Internet et aux biens de consommation en comptant sur la dynamique de l’économie de marché pour stimuler la fragmentation de la société cubaine et provoquer à terme des changements politiques. Une stratégie dangereuse pour le gouvernement cubain, confronté aux défis d’une transition économique et générationnelle sans précédent.
Mais la politique de D. Trump pourrait se heurter à plusieurs obstacles, à commencer par les contradictions internes au Parti Républicain. Majoritaire dans les deux chambres, il n’est pas homogène sur la question cubaine. En témoignent les nombreuses visites à La Havane de fonctionnaires de haut niveau et d’hommes d’affaires – dont celles fréquentes du président de la Chambre de Commerce des Etats-Unis Tom Donohue – supportant mal de voir leurs concurrents chinois, européens ou autres investir sur un marché si proche. Des projets de loi visant à libéraliser les échanges économiques sont déposés sur le bureau du Congrès par des élus républicains partisans de Donald Trump. Rick Crawford (Arkansas) Tom Emmer (Minnesota) et Mark Sanford (Caroline du Sud) veulent ainsi lever les restrictions qui pèsent sur les exportations de produits agricoles, sur les voyages, etc. Sept accords de coopération ont déjà été signés entre des autorités portuaires américaines et les autorités cubaines (deux dans l’Etat du Mississipi, trois en Louisiane, un en Alabama et en Virginie). Cependant, la signature de deux accords entre l’île et deux ports de Floride a dû être annulée après que le gouverneur de Floride, Rick Scott, a menacé de représailles budgétaires les terminaux maritimes collaborant avec Cuba. Annulation révélatrice des contradictions internes au Parti Républicain. L’abrogation par B. Obama, quelques jours avant la fin de son mandat, de la politique dite « pieds secs, pieds mouillés », qui accordait aux émigrés cubains un accès privilégié à la citoyenneté américaine, n’a pas été commentée par la Maison Blanche. Difficile pour le nouveau président, en effet, d’annuler une décision limitant les flux migratoires. Enfin, on voit mal comment Cuba accepterait le principe donnant-donnant énoncé par D.Trump. Les pressions politiques n'ont jamais réussi à faire plier La Havane. Récemment, Raúl Castro, tout en réitérant sa volonté de continuer à négocier « avec le gouvernement de Donald Trump », a répété que « Cuba ne ferait pas de concessions concernant sa souveraineté ».
           Quel peut être alors le scénario prévisible de l’évolution des relations entre les deux pays ? Pour Richard Feinberg, ancien conseiller du président Bill Clinton, la négociation est possible « sur la base d’un grand marchandage ». Mais lequel ? L’abrogation de l’embargo nécessite un vote favorable du Congrès qui n’est pas à l’ordre du jour. La fermeture de la base de Guantanamo – a fortiori sa restitution – est exclue par D. Trump. L’indemnisation des propriétés américaines nationalisées au début de la révolution a fait l’objet de discussions bilatérales, mais le gouvernement cubain demande en échange des compensations pour l’embargo. Certes, des coopérations plus limitées existent en matière de lutte contre le narcotrafic, le terrorisme, la navigation maritime ou les risques climatiques. Mais l’incertitude règne au Département d’Etat où de nombreux hauts fonctionnaires ne sont toujours pas remplacés[1]. Si nul ne sait encore quel sera l’avenir des relations entre les deux Etats, il ne fait aucun doute que la détente amorcée par Barack Obama appartient déjà au passé.
 Janette Habel est politologue, spécialiste de Cuba
[1] Voir Ivo Daalder, Financial Times, 14 mars 2017.
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