Edito
Édito
Mexico, 19 septembre : séismes et citoyenneté
Mexico, 19 septembre : séismes et citoyenneté
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A Mexico, la journée de mardi[1] a commencé comme chaque année par une commémoration du séisme du 19 septembre 1985, qui a fait plus de 10.000 victimes dans la ville et a profondément touché tous ceux qui l’ont vécu et au-delà un pays tout entier. 32 ans plus tard, jour pour jour, un nouveau séisme de 7,1 sur l’échelle de Richter semait une nouvelle fois la panique dans le centre du pays et dans la capitale de 21 millions d’habitants. 44 immeubles se sont effondrés à Mexico, et bien d’autres dans les états voisins. A l’heure où j’écris, on compte 224 victimes. Un chiffre qui devrait grimper lorsque le jour reviendra sur la capitale mexicaine, où les secours s’activent toute la nuit à la recherche de rescapés dans les immeubles effondrés.
Comme le 19 septembre 1985, les habitants de la capitale se sont immédiatement et massivement mobilisés pour rechercher des survivants. Les chaines humaines se sont immédiatement mises en place pour déblayer les gravats, des habitants apportent de l’eau, du café, des couvertures, du matériel. Comme en 1985, les étudiants s’organisent en « brigades » qui se répartissent dans les lieux où les secours sont moins nombreux. L’esprit de solidarité, d’organisation autonome et de mobilisation citoyenne est de retour dans la capitale autour des décombres.
32 ans plus tard, les citoyens disposent d’un outil majeur pour s’organiser et se coordonner : les réseaux sociaux, dont les Mexicains sont particulièrement friands. Le 19 septembre à 17h (minuit à Paris), quatre des cinq principales tendances mondiales de Twitter concernait le séisme au Mexique. Par ses migrants comme par la globalisation des médias et la massification du tourisme, le Mexique est plus global qu’il y a 32 ans. Sur place, c’est par des « textos » que les élèves signalent leur présence dans l’école primaire effondrée dans la ville de Mexico. De nombreuses applications voient le jour pour signaler que tout va bien ou pour organiser les secours. Les réseaux sociaux servent surtout à organiser des flux de solidarité.
« On a besoin d’eau, de gants et de bâtons à tel endroit », « Si vous êtes dans les zones affectées, ouvrez vos réseaux WiFi pour que des personnes dans les décombres ou les secouristes puissent les utiliser », « La nuit tombe et nous avons encore besoin de mains pour différents immeubles effondrés. Nous avons besoin de lampes, de matériel comme des marteaux et des sceaux. Merci de diffuser le message. Nous travaillerons toute la nuit pour sauver le maximum de personnes des décombres #Terremoto #19DeSeptiembre #CDMX ». « Ne venez plus nous aider autour de cette école. Il y a trop de monde maintenant ». « Seuls les motos et les vélos peuvent encore accéder à l’hôpital de Polanco, qui est débordé. ». « Rejoignez-nous à la Brigade Féministe qui remplacera demain matin les compagnes à 10h devant l’usine textile où une centaine de travailleuses sont sous les décombres ».
Des journalistes montrent le travail de la police et des 1300 militaires qui déblaient les gravats. Mais sur les réseaux sociaux, derrière la célébration de la solidarité citoyenne, une critique de l’État pointe dans de nombreux messages. « Je rentre du quartier de Portales y Valle. Le nombre de personnes de la société civile mobilisées est impressionnant. Un déploiement massif de la solidarité et de l’empathie. Des familles et de jeunes distribuent des vivres. Les policiers et les militaires ne sont actifs qu’à la marge, presque absents »
En 1985, l’organisation autonome des citoyens contrastait avec l’incapacité du régime semi-autoritaire du parti-État à gérer la catastrophe. Le PRI y avait perdu toute légitimité et les citoyens étaient devenus conscients de leur capacité à s’auto-organiser. Cela avait créé un espace et une énergie nouvelle. Des centaines d’associations civiques avaient émergé de cet élan et les sociologues et historiens y voient le début d’une longue phase de démocratisation qui a abouti en 2000 à la fin de 71 années de pouvoir du parti-état, le PRI... qui est de retour à la présidence depuis 2012.
Verra-t-on un processus similaire en 2017 ? L’action, l’organisation citoyenne et la solidarité pour venir en aide à leurs compatriotes sauront-elles impulser un nouvel élan capable de dépasser le sentiment d’impuissance et de résignation des Mexicains face à la corruption de l’État et à l’impunité ? La journaliste engagée Carmen Aristegui veut y croire « Ce tremblement de terre nous a secoué, pas seulement physiquement mais aussi mentalement et quelque chose est en train d’en sortir » commentait-elle dans l’après-midi du 19 septembre.
Les défis de la citoyenneté sont bien différents aujourd’hui. En 1985, les Mexicains identifiaient clairement l’adversaire qui était à la racine de leur problème (le parti-état au pouvoir depuis 1929) et la voie pour en sortir (une transition démocratique). Aujourd’hui, la méfiance face à l’état et la rancœur face au pouvoir corrompu sont tout aussi grandes, mais elles s’accompagnent d’une profonde désillusion à l’égard du processus de transition démocratique qui est resté très institutionnel, n’a pas modifié en profondeur le fonctionnement de l’État et s’est accompagné de politiques néolibérales qui ont accru les inégalités. Les fraudes lors de plusieurs élections montrent que la démocratie institutionnelle est loin d’être achevée et une série de scandales ont révélé que les montants des détournements de fonds publics par des gouverneurs de différents dépassent l’entendement. Aussi, Alejandro Solalinde, l’une des principales figures de la résistance face à la violence, tweetait « Comme en 1985, la solidarité citoyenne et ne rien attendre de l’État ».
D’autant que l’État mexicain est bien moins puissant qu’en 1985. Il s’est montré incapable de mettre un terme à la corruption des élites politiques et à la vague de violence. Depuis fin 2006, l’armée a été déployée dans le pays pour venir à bout de cette violence mais elle en est souvent devenue un acteur, à travers de nombreuses exécutions extrajudiciaires ou des collusions attestées de régiments avec différents cartels. Les ONG internationales montrent que c’est dans un camp militaire qu’ont probablement disparu les 43 étudiants de l’école normale rurale d’Ayotzinapa le 26 septembre 2014. Le problème de la violence dépasse les seuls cartels. Le climat d’impunité est tel que les assassinats de journalistes se sont multipliés et qu’une vague de féminicide affecte aujourd’hui la plupart des régions du Mexique sans que l’État ne se mobilise. Ses capacités d’interventions dans certaines zones sont de toute façon limitées, puisque les cartels de la drogue contrôlent des pans entiers de l’économie. Qui que soit le vainqueur des élections présidentielles de 2018, il (ou elle ?) ne pourra en venir à bout à partir du seul gouvernement fédéral. Les citoyens devront y jouer un rôle central dans un contexte difficile. La solidarité et l’énergie qu’ils expriment aujourd’hui dans les rues de Mexico se transformera-t-elle en une force capable de redonner une capacité à la société mexicaine de se transformer ? Sur les réseaux sociaux, on veut y croire : « Le Mexique est de retour » ; « Aujourd’hui, comme il y a 32 ans, le peuple du Mexique s’est uni au-delà de toutes les couleurs politiques pour mettre en action la solidarité » « Après les ténèbres, la lumière… et de la tragédie est ressorti le Mexique que nous sommes aussi : le Mexique de la solidarité et de la compassion. »
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Geoffrey Pleyers est chercheur FNRS à l’Université de Louvain et au Collège d’Etudes Mondiales, FMSH-Paris. Il est aussi chercheur associé à l’Instituto de Investigaciones Sociales, Universidad Nacional Autónoma de México.
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