Edito
Édito
Les stratégies de long terme dans la lutte politique vénézuélienne
Les stratégies de long terme dans la lutte politique vénézuélienne
Par Eduardo RÃos Ludena*
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      Alors que les mobilisations dans tout le pays continuent et que la répression s’intensifie, nous nous attacherons ici à montrer ce qui explique leur intensité et leur permanence dans le temps. Nous ne reviendrons pas en détail sur les substrats économiques qui alimentent la crise actuelle : le pays est marqué par une inflation qui a dépassé les 700% en 2016 et par une chute du PIB d’au moins 15 points ; les prix du pétrole restent obstinément bas, autour de 50 dollars le baril. Les conséquences sociales de ce contexte général sont désastreuses et la pauvreté a augmenté de manière dramatique. Selon les seules études publiées à ce jour au Venezuela comme l’enquête ENCOVI (Encuesta sobre Condiciones de Vida) de l’Universidad Católica Andrés Bello, le taux de pauvreté dans le pays en 2016 serait revenu au niveau qui avait propulsé Chávez à la présidence de la république en 1998. Les pénuries massives de produits alimentaires et de médicaments s’intensifient. Cette situation gagne les services publics : le gouvernement a ainsi reconnu que la mortalité infantile et la mort de femmes parturientes avaient augmenté de façon alarmante, respectivement de 30% et de 66%. Ce serait, cependant, un raccourci trop simple que de lier exclusivement ces conditions économiques difficiles à l’explosion sociale que vit le pays. Sur les mêmes faits, il serait possible d’inférer – comme c’était le cas il y a peu – que trop de temps passé à faire la queue empêcherait les « gens » de se mobiliser. Cette situation économique n’explique pas non plus pourquoi le gouvernement a choisi une réponse répressive si forte qui semble par ailleurs chaque jour s’intensifier.
D’après nous, les causes de cette situation se trouvent dans les conditions politiques qui, d’un côté, interdisent à Maduro de lâcher du lest et, de l’autre, empêchent l’opposition de modérer l’intensité des demandes. La politique vénézuélienne est habituellement peu clémente envers les approximations douteuses et ce qui semble alimenter la conjoncture actuelle peut se résumer en une idée simple : Maduro et ses acolytes cherchent à conserver à tout prix l’hégémonie institutionnelle et le pouvoir financier que leur offre la présidence de la république bolivarienne du Venezuela.
Premièrement, face à l’opposition. Chávez avait prouvé son efficacité électorale. Maduro, embourbé dans une crise économique sans précédents, semble incapable à court terme de gagner des élections. La première évidence de ce déficit de pouvoir de convocation a vu le jour avec la perte de l’assemblée nationale en 2015. L’opposition, qui avait remporté deux tiers des sièges – et disposait donc du pouvoir de changer la constitution –, s’était vue ôter ses prérogatives institutionnelles par le Tribunal Supérieur de Justice acquis au gouvernement. Elle avait également tenté d’activer le référendum révocatoire en 2016 et en avait été empêchée par le gouvernement, qui avait également repoussé aux calendes grecques la tenue d’élections régionales. Le madurisme a ainsi fermé la voie à l’expression électorale et sanctionné les résultats qui lui étaient défavorables. En représailles, l’opposition manifeste dans la rue pour demander la réouverture de la solution électorale qui devrait vraisemblablement lui bénéficier et que le gouvernement semble avoir proscrite. La tentative du gouvernement d’enlever l’immunité parlementaire aux députés d’opposition a été l’étincelle qui a mis le feu aux poudres et provoqué la situation actuelle. Face aux demandes électorales de l’opposition, le gouvernement s’est engouffré dans une surenchère autoritaire. De nombreuses personnes ont été blessées pendant les manifestations et deux des trois gouverneurs d’opposition ont été déclarés inéligibles dans le mois qui a suivi. Cependant, cela n’explique pas pourquoi Maduro ne cède pas une partie de l’immense pouvoir accumulé par la révolution bolivarienne pour calmer la situation. Le problème est, semble-t-il, légal et politique.
Maduro est pour l’heure dans l’incapacité de gagner une élection présidentielle. Il a donc évité l’écueil électoral, mais si la situation économique du pays ne s’améliore pas dans les mois qui viennent, il condamne le chavisme à souffrir des défaites de plus en plus lourdes. Au vu du drame actuel (le pays a perdu 30 points de PIB en 4 ans), il est peu probable que la situation économique s’améliore. Au lieu de se résigner à laisser triompher l’opposition au chavisme, ce qui exclurait celui-ci de la vie politique vénézuélienne, il a préféré opter pour une fuite en avant. Ce faisant, il a non seulement choisi de limiter les droits politiques de ses opposants, mais également de s’imposer au chavisme en vue des élections présidentielles de 2019. Face à ces résultats pour le moins décevants, il ne serait pas inconcevable que le chavisme pense à proposer un autre candidat pour les élections de 2019. Maduro, quant à lui, cherche à s’introniser en essayant de réécrire la constitution. Son appel à une « constituante communale » n’est rien d’autre que la tentative du groupe au pouvoir, miné par des dénonciations de corruption et de narcotrafic – au moins aux États-Unis –, de s’y raccrocher à tout prix.
Face à une mobilisation qui ne décroit pas, Maduro se perd dans la voie d’une surenchère autoritaire qui peut lui réussir. Le prix social à payer pour ses premières années de mandat a été l’effacement de la plupart des avancées sociales conquises par Chávez. S’il échoue, Maduro risque de diluer la force du chavisme politique. L’héritier d’Hugo Chávez joue librement avec son héritage et, pour l’heure, il semble bien disposé à le dilapider.
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*Eduardo RÃos Ludena est politologue (Sciences Po-CERI), spécialiste du Venezuela