Edito
Édito
Colombie : la paix envers et contre tout
Colombie : la paix envers et contre tout
Le processus de paix entre la guérilla des FARC et le gouvernement colombien, amorcé à Oslo le 17 octobre 2012, s’est construit à partir des leçons tirées du passé (trois tentatives avortées 1984, 1992 et 1999-2002) et en dépit des nombreuses incertitudes qu’il n’a eu de cesse de soulever. Négocié en dehors de la Colombie, à Cuba (à partir du 19 novembre 2012), il a été accompagné par la communauté internationale (en particulier avec Cuba et la Norvège comme pays garants et le Venezuela et le Chili comme pays accompagnateurs) et n’a pas impliqué un cessez-le-feu bilatéral[1]. Il a surtout été long de quatre années (voire six depuis les premières prises de contact en 2010) et a reposé sur un agenda cohérent de six points (question agraire, participation politique des guérilleros, drogues illicites, réparation des victimes, fin du conflit et cessez-le-feu, mise en place de l’accord). Les négociations critiquées sans arrêt étaient fragiles. Si le gouvernement Santos, pressé par les élections présidentielles de 2014, a toujours hâté la détermination d’une date finale pour les négociations, la guérilla a toujours signifié, quant à elle, sa volonté de prendre du temps (la date de fin du conflit initialement prévue au 23 mars 2016 n’a d’ailleurs pas pu être honorée et sera retardée de trois mois). Les FARC ont été continuellement suspectées d’être toujours opérationnelles militairement (d’engager des mineurs, détenir des otages, continuer des activités de narcotrafics, etc.), celles-ci ayant pourtant déclaré plusieurs cessez-le-feu unilatéraux.
C’était sans compter un plus grand rebondissement. Les négociations sont abouties le 23 juin 2016. Le 24 août, l'accord est signé lors d'une cérémonie conviant plus de 2 500 personnes et il est annoncé qu'il sera soumis à un plébiciste. Or un mois plus tard, le 2 octobre, cet accord est rejeté. À peine 60 000 voix séparent les électeurs en faveur du « si » validant l’accord pour la paix des défenseurs du « non » au processus de paix tel qu’il figure dans l’accord, finalement gagnants du scrutin. Habitué des taux d’abstention, le corps politique colombien ne compte que 13 millions de votants pour 62% d’abstention à ce référendum. Pour ceux qui ont voté « non », les raisons sont éparses : à la fois vote sanction contre le gouvernement Santos qui « livrerait le pays à la guérilla » et pro Uribe (ancien président Colombien 2002-2010) – des cartes présentant les résultats de la campagne présidentielle de 2014 et les votes pour le candidat soutenu par Uribe, Zuluaga, se recoupent parfaitement avec les municipios où l’accord du processus de paix a été rejeté[2]. C’est aussi un vote contre la ministre de l’Education, Gina Parody, au-devant de la scène puisqu’elle est chargée de la campagne pour le « si », qui tente de mettre en place dans les petites écoles des règles non discriminantes en matière de genre. Les secteurs conservateurs – et plus particulièrement les Églises cristianas (évangéliques) – jouent un rôle très actif en soutenant la campagne du « non », l’accord présentant des tournures qui s’apparenteraient selon elles à l’imposition d’une « idéologie du genre ». Dans tous les cas, proposer un référendum à peine un mois après sa signature était périlleux compte tenu de l’intense mobilisation de la campagne et de l’administration qu’un tel suffrage supposait (nombreux sont les Colombiens de l’extérieur n’ayant pas pu voter dans leur consulat, de même que les Colombiens n’étant pas proches de leurs habituels bureaux de vote au moment du référendum). Finalement, les arguments du « non », dénonçant l’impunité des guérilleros qui seraient en plus rémunérés dans le cadre de l’accord et auraient le droit de se présenter en politique sans passer par la case prison, ont finalement raison des Colombiens, alors que la rapidité du référendum limite la portée des déclarations tardives de pardon des FARC aux communautés victimes du conflit armé.
Contre toute attente, cinq jours après, le prix Nobel de la paix est décerné à Juan Manuel Santos. Ainsi légitimé par la communauté internationale et rappelant aussitôt le caractère définitif du cessez-le-feu déjà signé, celui-ci invite tous les secteurs du « non » à venir renégocier les accords de paix. La situation place donc les plus récalcitrants à une quelconque négociation avec les FARC – dont Uribe – à proposer des modifications de l’accord de paix initial. Les FARC réitèrent également leur volonté de continuer les négociations, apaisant les scénarios inquiets d’un retour à la guerre, et s’entretiennent personnellement avec les Églises cristianas, ainsi qu’avec les groupes représentant les communautés LGBT. Les négociations reprennent le 22 octobre à La Havane et un nouvel accord est présenté le 13 novembre. 56 des 57 propositions de modifications sont adoptées a minima. La possibilité de participation politique des guérilleros n’est pas modifiée, mais ils devront désormais révéler les routes du trafic de drogue et leurs biens devront être consacrés à la consolidation de leur parti. Ce sont surtout les références au genre et aux minorités sexuelles qui sont gommées ; la présence de juges étrangers dans le programme de justice spéciale pour la paix, prévue pour la décennie à venir, est également abandonnée. Cette fois, le nouvel accord est signé devant une assemblée restreinte et lors d’une cérémonie discrète à Bogota, au théâtre Colón. La perspective d’une consultation populaire est écartée, la Cour constitutionnelle colombienne valide la possibilité de la ratification du traité par le Congrès dont la majorité supporte le gouvernement Santos. N’en déplaise à ses détracteurs[3], l’accord est approuvé au Sénat par 75 voix « pour » et 0 « contre » le 29 novembre. Le 30 novembre, les 130 députés présents, sur un total de 166, votent à leur tour à l'unanimité « pour ».
Si le nouvel accord de paix est finalement adopté, les doutes sur le maintien du cessez-le-feu ont été remplacés par ceux relatifs au désarmement[4]. Prévu dans les sept puntos et dix-neuf zonas veredales transitorias de normalización (c’est-à-dire des zones rattachées à des veredas – hameaux), celui-ci pose des difficultés logistiques. Les biens matériels fournis par l’État pour l’installation de campements et la nourriture arrivent moins vite que les guérilleros déjà rassemblés dans ces zones de concentration où le désarmement doit avoir lieu sous 180 jours. L’enjeu de ces campements est pourtant essentiel pour les FARC qui ont annoncé la mise en place de leur parti politique pour mai. Ils ont déjà nommé à cette fin six membres de la société civile afin de les représenter au Congrès avec le groupe voces de paz (voix de paix)[5]. Ils ont aussi organisé en interne des programmes de rencontre avec les familles des guérilleros qui pourraient se désintéresser plus vite de l’organisation - en témoigne le nombre conséquent de guérilleras enceintes depuis la signature des accords[6]. Outre les rêves d’indépendance de certains de ses membres, d’autres lui échappent totalement comme les medios mandos, c’est-à-dire les commandants de rang moyen ayant peu à gagner dans la démobilisation, et des dissidences ont déjà été constatées à la fin de l’année 2016[7]. Cette dissidence est d’autant plus problématique que les groupes néoparamilitaires sont très actifs pour recruter d’anciens guérilleros alors que l’autre guérilla ELN ne présente plus une issue possible puisqu’elle vient de commencer des négociations le 15 janvier à Quito en Équateur. Par ailleurs, le nombre d’assassinats de leaders sociaux et ruraux ne fait qu’augmenter[8]. La difficulté est enfin légale puisque le pouvoir législatif doit maintenant transformer les points de l’accord en lois – 40 projets de lois d’ici juin 2017.
Paradoxalement, les critiques portées à l’encontre des accords semblent les avoir renforcés. La solidité du processus repose sur le temps écoulé, chaque obstacle ayant été dépassé quand de nombreuses voix annonçaient, sceptiques, la fin des négociations. Ces critiques ralentissant le processus, le temps gagné a permis aux acteurs de démontrer leur détermination et à la confiance de s’installer. Ces remises en cause ont participé à une forte dramatisation du conflit armé, déjà lourdement chargé par une histoire tragique de morts, disparus et victimes mais aussi facteur de conscientisation des Colombiens face à leur histoire. L’heure est désormais à la démobilisation non seulement des acteurs armés, mais aussi des mentalités comme en témoignent les nombreuses manifestations citoyennes grandissantes spontanées[9] en faveur du processus de paix.
*Doctorante en science politique au CREDA, Université Paris 3- IHEAL, ATER en science politique à Sciences Po Lille.
[1] La délégation de paix du gouvernement Santos le concède le 22 juin 2016 et l’applique le 29 août 2016.
[2] Lewin, Juan Esteban, Morelo, Daniel, Garzon, Daniela, Quiroga G., Camilo 1., Perez B. Juan Pablo, « Asi es el pais que voto no », La Silla vacia, 05/10/2016 (en ligne sur http://lasillavacia.com/hagame-el-cruce/asi-es-el-pais-que-voto-no-58201).
[3] Santos prend soin de rassurer en plus les forces armées en ne baissant pas le budget qui leur est alloué.
[4] Les critiques hebdomadaires sont toujours de rigueur, la dernière en date s’indignait de la proximité de certains accompagnateurs inernationaux de l’ONU présents (350 présents sur les 450 prévus) pour l’organisation du désarmement, lors d’une célébration de fin d’année avec la guérilla. Voir, Redaccion BBC, “La polemica que desato en Colombia el baile de dos observadores de la ONU con dos guerrilleras de las FARC en fin de ano” in, BBC, 4/01/17, en ligne sur http://www.bbc.com/mundo/noticias-america-latina-38502976; Plus récemment encore, les critiques fusent quand à la disposition de bibliothèques mobiles dans les campements[4], trop de faveurs pour la guérilla. Agencia EFE, “Gobierno instalara bibliotecas en zonas de preconcentration de las FARC” in, El Espectador, 24/01/17, en ligne sur http://www.elespectador.com/noticias/paz/gobierno-instalara-bibliotecas-...
[5] (sans auteur/Nacion), “CNE dio luz verde al registro de Voces de Paz” in, Semana, 11/01.27, en ligne sur http://www.semana.com/nacion/articulo/voces-de-paz-consejo-nacional-elec...
[6] Mesa Rico Santiago et Arenas Natalia, “La esperanza renovada de las familias de las FARC” in, La Silla Vacia, 20/01/17, http://lasillavacia.com/historia/la-esperanza-renovada-de-las-familias-d...
[7] Redacción Justicia, “Farc dicen que cinco de sus efes en Guaviare están en disidencia” in, El Tiempo, 13/12/2016, en ligne sur http://www.eltiempo.com/politica/proceso-de-paz/cinco-jefes-de-farc-en-g...
[8] (AFP) “Ya son 94 los líderes sociales asesinados en 2016” in, El Espectador, 9/12/16, en ligne sur http://www.elespectador.com/noticias/nacional/ya-son-94-los-lideres-soci...
[9] Parmi les plus récentes : Pedraza, Juan Camilo, « Los jovenes que vigilaran la implementacion del acuerdo de paz » in, El Tiempo, 18/12/16, en ligne sur http://www.eltiempo.com/politica/proceso-de-paz/jovenes-vigilaran-implem...