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Appel à communications. Machines, genre et natures : anthropologie des territoires extractifs
Colloque international
Machines, genre et natures : anthropologie des territoires extractifs
15-17 octobre 2019. Paris
Appel à communications > 20 juillet 2019 (courts métrages acceptés)
Pour plus d'informations : https://ma-ge-nat.
L’objet de ce colloque est d’étudier différents territoires extractifs (miniers, halieutiques, forestiers, etc.) du point de vue des dynamiques anthropologiques qui les structurent, en faisant l’hypothèse qu’ils posent des problématiques communes au-delà des différentes géographies et populations concernées. En effet, ces territoires se sont construits sur la durée selon des trajectoires communes. Il s’agit en général d’espaces tardivement conquis, annexés ou capturés par des puissances établies; ils se structurent de façon asymétrique en articulant des populations hétérogènes selon différentes formes de colonialité; il s’agit encore d’espaces sur-mécanisés où les populations ont une relation plus précoce, plus accentuée et plus clivée aux machines et aux engins mécaniques, omniprésents au quotidien; il s’agit aussi d’espaces fortement masculinisés et hiérarchisés où les clivages de genre jouent un rôle structurant de contrôle social; enfin, ces territoires se construisent historiquement autour d’une conception orientée, extractive ou prédatrice des ressources naturelles et ils constituent dans l’actualité des zones critiques de contradiction, négociation ou réagencement des rapports à la nature. Ainsi, à différents niveaux, il apparaît que la question des relations entre machines, genre et natures se pose dans ces territoires d’une façon spécifique. Ce colloque a pour objet de discuter cette hypothèse en mettant à jour les liens entre mécanisation, rapports de genre et rapports à la nature dans divers contextes d’extraction de ressources naturelles.
1. Les territoires extractifs en perspective de genre
La mécanisation des activités extractives s’est souvent traduite par leur masculinisation. L’industrialisation de la production minière, entre la fin du XIXème et le début du XXème siècle, a par exemple eu pour effet une marginalisation du travail féminin dans le secteur et la naissance d’une nouvelle masculinité ouvrière qui deviendra centrale aux imaginaires politiques et littéraires de l’époque. Cette tendance à la machinisation/masculinisation semble toutefois en train de se nuancer, notamment dans les grandes entreprises, en conséquence des innovations technologiques, des politiques d’égalité de genre dans l’emploi, et des politiques de gestion managériale “a-sexuées”. Les nouvelles techniques d’extraction qui ont révolutionné les secteurs miniers depuis les années 1990, s’accompagnent en effet d’un « retour » des femmes au secteur en tant qu ingénieurs, géologues, ou chargées de programmes de responsabilité sociale d’entreprise. Comment ces innovations transforment-elles la division sexuelle du travail et, partant, les rapports sociaux entre acteurs ?
2. Machines, agentivité et politiques du mécanique
À la fois incendiées, sabotées, maudites et célébrées, baptisées ou héritées : les machines constituent un objet dense et omniprésent du paysage extractif. Elles en sont même la condition de possibilité - un front extractif est en dernière instance un système de chalutiers, de camions, de pelles mécaniques, etc. Mais leur position est ambivalente. En un sens, ces engins rappellent sans cesse la “violence initiale” et l’asymétrie des forces en présence. Les attentats incendiaires contre les camions et les bulldozers en Amazonie ou Araucanie, devenus systématiques, montrent bien cette position centrale des engins comme lieux d’un pouvoir contesté, car ces territoires ont été et sont conquis mécaniquement et c’est autour des machines que ce sont constituées toutes sortes d’asymétries et d'assujettissements. Mais aussi, dans un autre sens, cette surabondance du mécanique se traduit par une diffusion et une démocratisation plus contemporaine des outils et des engins motorisés. Des multitudes de camions, de pelleteuses, de compresseurs, de tronçonneuses, de foreuses et de concasseurs de deuxième main abandonnent progressivement leurs systèmes d’origine et s’aventurent au-delà dans la jungle, les montagnes ou les océans. Ils déstabilisent les anciennes territorialités techniques (missionnaires, militaires ou coloniales) et modifient en profondeur la sociologie locale du pouvoir tout en disséminant fractalement sur le territoire des formes de prédation et d’extraction mécanique « sauvage ». Cette centralité des engins motorisés et des machines transparaît aussi sur le plan des pratiques culturelles, qu’il s’agisse de formes d’animalisation des machines (ch’alla de camions, zootechnonymie, etc.), de leur relation à la mort (invocations, religiosité, édicules mortuaires) ou à leur sexualisation (tuning, néons, chromes). Il s’agira, sur ces différents registres, d’interroger les engins mécaniques dans leur agentivité, en tant qu’objets culturellement et politiquement denses et orientés.
3. Extraction et redéfinitions de la nature
Enfin, ces évolutions techniques sont en corrélation avec différentes formes de voir et de comprendre le monde. En un sens, parce que l’orientation extractive de ces territoires force une compréhension orientée de la nature, qui se trouve souvent féminisée. Ainsi, par exemple, les mobilisations contemporaines contre les exploitations minières à ciel ouvert dans les Andes représentent celles-ci comme une forme de « viol » de la terre, qui la rendrait « stérile » à tout jamais, reprenant le trope andin des mines comme le ventre d’une femme que les mineurs doivent « féconder » pour engendrer le minéral. Ces imaginaires, tendent parfois à occulter d’autres représentations non-binaires des ressources présentes à l’échelle locale. D’autre part, les évolutions juridiques et sociétales, le développement du tourisme, la massification de l’image numérique et des réseaux sociaux, etc., rendent soudainement visible la violence que ces fronts extractifs ont introduit sur des environnements parfois fragiles, souvent distants, sciemment sacrifiés tout au long des décennies. Ces contradictions sont à la base de multiples réagencements en cours des représentations et des formes de régulation environnementale - les grandes compagnies minières se mobilisent soudain pour la protection de tel petit oiseau méconnu; les opérateurs touristiques et les communautés privatisent désormais “la vue” d’une vallée ou d’un paysage et des animaux anciennement très sollicités, déambulent désormais, “sauvages” et photogéniques, dans des parcs fraîchement créés. Enfin, la démocratisation des engins motorisés permet de revisiter certaines problématiques centrales de l’anthropologie, telles les limites de l’appropriabilité culturelle des objets techniques - une arme à feu,une pelleteuse ou une tronçonneuse, ne contiennent-elles pas déjà, avant utilisation et utilisateur, leurs propres « petites ontologies » embarquées? Jusqu’où est-il possible de s’approprier culturellement une tronçonneuse (jusqu’où s’approprie-t-elle de l’usager)? Dans cette grande conversation en cours entre humains et non-humains, qu’en est-il des engins? Car il en est qui assurent avoir entendu parler les camions et leur humeur changeante, tout humains et non-humains qu’ils sont.
Ce colloque est organisé par le Centre de recherches et de documentation sur les Amériques (CREDA UMR7227) et Mondes Américains (MASCIPO UMR 8168), dans le cadre du programme ANR Mécaniques Sauvages. Anthropologie historique de deux territoires extractifs, Atacama Chaco (1850-temps présent)