Institut des Hautes Etudes de l'Amérique latine
Centre de recherche et de documentation sur les Amériques

Atlas de l'esclavage rural au Brésil

A la demande de l'Organisation internationale du travail, Hervé Théry, chercheur au CREDA a publié l'Atlas do trabalho escravo. Cet atlas en ligne, fruit d'un travail collectif réalisé en collaboration avec Neli Aparecida de Mello, Julio Hato et Eduardo Girardi, est disponible sur le site Amazonia de l'ONG Amigos da Terra. Il examine les formes contemporaines de l'esclavage dans certaines régions rurales du Brésil, où les travailleurs exécutent des tâches pénibles dans des conditions inhumaines, sans recevoir un paiement approprié pour leur travail et sans pouvoir le quitter librement.

Consulter l’Atlas do Trabalho Escravo no Brasil

Visiter le carnet de recherche Braises  d'Hervé Théry 

 

 

 

La persistance de cas d’esclavage rural au Brésil, en plein XXIe siècle, met en lumière la contradiction profonde entre le niveau de développement atteint par le pays dans de nombreux domaines la persistances d’archaïsmes inacceptables. L’Atlas do trabalho escravo réalisé pour l’OIT et publié sur le site des Amigos da Terra Amazônia (référence en bibliographie ci-dessous) examine les formes contemporaines de l’esclavage dans certaines régions rurales du Brésil, où les travailleurs exécutent des tâches pénibles dans des conditions inhumaines, sans recevoir un paiement approprié pour leur travail et surtout sans pouvoir le quitter librement: c’est la privation de liberté qui constitue l’esclavage, il est condamné par la loi brésilienne et c’est sur cette base légale que l’OIT fonde son action et a pu financer la recherche dont est né l’atlas.

Celle-ci visait à comprendre la distribution du phénomène au Brésil, à d’identifier les situa-tions qui favorisent ou inhibent l’esclavage des travailleurs et à construire des indices synthé-tiques évaluant la probabilité de présence d’esclaves et la vulnérabilité au recrutement. Deux bases de données sur le travail esclave sont les principales sources de connaissance et de me-sure de ce phénomène : celles de la Commission pastorale de la terre (CPT) et du Ministère du Travail et de l’Emploi (MTE). La CPT a été à l’origine du processus, puisque depuis les années 1980 elle enregistre les dénonciations de cas de travail forcé, pratiquement ignorés par l’État jusqu’en 1995, lorsque le ministère du Travail a commencé à inspecter les cas signalés. En 1995, il a créé le groupe spécial d’inspection mobile qui, avec l’aide et la protection de la police fédérale, se rend sur les lieux où lui ont été signalés des cas d’esclavage. S’ils sont avé-rés, les travailleurs sont libérés, des amendes infligées à l’employeur, qui doit effectuer im-médiatement le paiement des salaires et des impôts. Ensuite, les travailleurs sont renvoyés à leurs lieux d’origine, les coûts du voyage étant de la responsabilité de l’employeur, et ils peu-vent bénéficier de l’assurance chômage (pour quelques mois).

Les données du MTE ont donc trait aux cas dans lesquels le travail esclave a été prouvé, ils indiquent le nombre de travailleurs libérés par le groupe mobile de 1995 à 2008. Le nombre réel de travailleurs esclaves est certainement plus élevé, car il n’est pas possible de vérifier toutes les plaintes et, dans certains cas, les opérations échouent parce qu’une fuite se produit, et que les contrôleurs et la police sont souvent devancés par les propriétaires qui, ayant eu connaissance de l’enquête, ont eu le temps de préparer le terrain. Entre 1990 et 2006, la CPT a enregistré  des dénonciations concernant de 133 656 travailleurs forcés et entre 1995 et 2006, le département du Travail a libéré de l’esclavage 17 961 travailleurs dans  onze États de la fédération brésilienne.

L’analyse des lieux de naissance montre que les travailleurs libérés proviennent de tout le pays, à l’exception des états situés à l’extrême ouest, très peu peuplés. Il apparaît cependant une importante zone dans les états de Maranhão, du Piauí, dans le nord du Tocantins (région con-nue sous le nom de “bec de perroquet”) et dans le nord-est du Pará. Un deuxième groupe est originaire du “polygone de la sécheresse”, principalement du nord-nord-ouest du Minas Gerais et des régions centrale et occidentale de Bahia.

Les cas connus

La concentration des communes où ont eu lieu des libérations de travailleurs esclaves est plus nette encore. Certes le phénomène est présent dans 22 États du Brésil, même les plus riches, mais la majorité des travailleurs libérés l’ont été dans un petit nombre d’entre eux, d’abord le Pará, suivi par le Mato Grosso, puis par l’ouest de Bahia et le centre-sud du Goiás. En analy-sant les données issues des dénonciations, les informations existantes dans les Cadernos de Conflitos no Campo publiés par la CPT depuis 1986 et les registres de travailleurs libérés par le groupe mobile de surveillance du Ministère du Travail, à partir de 1995, on remarque que le travail esclave se concentre principalement dans quelques activités économiques. Les princi-pales sont la production de charbon de bois, la sidérurgie (fabrication de fonte au charbon de bois), les mines et l’orpaillage, les scieries, les tuileries et briqueteries, les exploitations agri-coles et les entreprises de reboisement. De fait, les activités économiques qui se développent le plus dans les régions où se situent les plus grandes concentrations de travail esclave sont la production de charbon (Santa Maria da Vitória, par exemple), l’élevage du bétail (São Felix do Xingu), les mines (Parauapebas), l’exploration en bois (Paragominas, Tomé Açu).

Il est notoire que les conditions sont extrêmement précaires travail dans la production du charbon de bois et de bois d’œuvre, principalement en Amazonie, où la majorité absolue du bois est produite illégalement, sans plan de gestion sylvicole: si l’activité est illégale, on peut s’attendre à ce que la situation des travailleurs qui y sont impliqués le soit également. Dans ces secteurs économiques et dans d’autres, le déboisement initial concentre une grande partie des cas connus de travail esclave. La corrélation entre déboisement et travail esclave est en effet très forte et l’utilisation de ce type de travail dans la phase initiale du déboisement (nettoyage du sous-bois, ouverture de layons, etc.) est bien établie.

Violence et travail esclave sont, sans aucun doute, des pathologies sociales en étroite corréla-tion. Une étude menée par la Délégation régionale du Travail du Pará en 2006 met en lumière un ensemble complexe de variables qui contribuent fortement à la présence simultanée des deux processus. Le livre publié en avril 2008 par la CPT indique que 28 personnes ont été assassinées dans des conflits fonciers en 2007, un peu moins qu’en 2006, où avaient été enre-gistrés 39 meurtres. Dans l’état du Pará, des épisodes comme celui d’Eldorado de Carajás (en 1996, qui entraîna la mort de 19 paysans sans terre) sont encore dans la mémoire publique.

Après avoir analysé un par un les aspects du travail esclave tels qu’on peut les percevoir dans les données disponibles et tenté quelques mises en relation avec des facteurs présumé explica-tifs, on peut  aller plus loin et traiter conjointement avec elles (par une analyse factorielle) un grand nombre de variables économiques et sociales pour de mettre en lumière le contexte dans lequel se développe le travail esclave, le syndrome social dont le travail esclave n’est que le symptôme le plus aigu.

On peut alors élaborer un indice de probabilité (ou de risque, s’agissant d’un fait illégal) de présence de travail esclave, indépendant des dénonciations. Un tel indice peut aider à estimer, à partir la partie déjà détectée du phénomène, les régions où il est probable qu’il existe, bien qu’aucune opération n’y ait encore été menée, voire aider à orienter des recherches là où – bien qu’aucune dénonciation n’ait été reçue – on peut supposer que des cas de travail esclave peu-vent exister.

Le test de la valeur de l’indice est que les régions qu’il désigne soient effectivement au maxi-mum celles où des situations de travail esclave ont été constatées, avec un minimum de cas dans des régions d’indice bas. La partie haute de la carte nº 63 représente cet indice, qui cor-respond bien à ces exigences : les cas constatés (moyenne des données MTE et CPT) sont bien situées dans les plages les plus sombres – celles où l’indice est à son maximum – et très peu d’entre eux dans les zones claires (indice bas). Les zones sombres sans cas constatés sont celles où l’on peut supposer – hors du littoral ou des environs de Brasilia, où les conditions sociales sont différentes – que des cas de travail esclave pourraient être détectés si des recherches y étaient faites.

Détecter les cas de travail esclave sans attendre les dénonciations est évidemment un progrès, mais on peut espérer, par les mêmes méthodes, faire un pas de plus : identifier les régions où existe un risque sérieux de recrutement de travailleurs qui se retrouveront en situation d’esclavage, autrement dit une vulnérabilité au recrutement d’esclaves (aliciamento).

À l’échelle nationale on observe bien une coïncidence entre les plages de haut indice de vul-nérabilité (partie basse de la carte nº 63) et les lieux où sont nés les travailleurs libérés de si-tuation d’esclavage (naturalidade) notamment dans le Nordeste, d’où viennent la plupart des cas connus. Deux exceptions semblent infirmer la validité de l’indice, le Sud-Sudeste et la haute Amazonie, mais ces exceptions ne sont qu’apparentes. Dans le cas de la haute Amazo-nie, les effectifs humains présents sont trop faibles pour intéresser les recruteurs et dans le cas du Sud-Sudeste le lieu de naissance n’a été qu’une étape sur une longue route de migrations.

 

 

Au terme de cette analyse, on pourrait donc suggérer que les autorités compétentes (munici-pales, des États fédérés et de l’État fédéral) prêtent particulièrement attention à cette avant-garde du front pionnier, qui pourrait bien receler non seulement des travailleurs esclaves, mais aussi d’autres atteintes aux lois sociales et environnementales du pays. Certes, on sait qu’il existe une grande différence entre la nécessité de surveillance et les moyens dont dispose l’État, qui ne réussit même pas à traiter toutes les dénonciations qui lui sont acheminées. Mais des actions ciblées sur les lieux où le risque de présence de travail esclave est élevé pourraient rendre plus efficace l’action de surveillance.

Améliorer la connaissance fine des situations de travail esclave permettra en outre de bien distinguer les cas qui tombent sous le coup de la législation brésilienne – essentiellement ceux où les travailleurs sont retenus contre leur gré – de ceux où les conditions de travail, de loge-ment et d’alimentation sont mauvaises, mais sans qu’il y ait illégalité, comme cela peut être le cas dans la production de soja et de canne à sucre. On y trouve sans aucun doute des cas de surexploitation, parfois mortelle, mais rien qui justifie l’action des groupes mobiles de lutte contre l’esclavage, qui ont donc peu de chances de trouver des travailleurs esclaves dans des états plus riches du Sud-Sudeste. Les régions à surveiller sont donc bien toujours les marches avancées du front pionnier, dans le Nord et le Centre-Ouest, les situations du reste du pays relevant d’autres analyses et devant faire l’objet d’autres modes d’intervention.

En conclusion – un peu optimiste sur ce sujet grave – on peut espérer que la publication d’informations relatives à la situation de travailleurs asservis permettra une plus grande trans-parence pour la population en général et une plus grande efficacité des associations engagées sur ces thèmes. Des pétitions et des projets de loi ont été envoyés au Parlement, mais beau-coup sont classés sans suite en raison de pressions politico-économiques qui visent à créer, dans la législation comme dans la jurisprudence, des brèches réduisant l’efficacité du Plan National d’Éradication du Travail Esclave au Brésil. Si une analyse typiquement géographique et cartographique peut contribuer à jeter la lumière là où certains ne la souhaitent pas, et aider au meilleur fonctionnement des politiques de prévention et de répression des formes archaïques et illégales de travail esclave, ce ne serait pas un mauvais résultat.

Bibliographie

Théry, H., Mello Théry, N.A de,  Girardo E. et Hato, J.,  Atlas as do trabalho escravo no Brasil, Amigos da Terra Amazônia, 2012, 82 p., http://amazonia.org.br/wp-content/uploads/2012/04/Atlas-do-Trabalho-Escr...

Théry, H., Mello Théry, N.A de,  Girardo E. et Hato, J., « Géographies du travail esclave au Brésil » , Cybergeo : European Journal of Geography, Espace, Société, Territoire, article 541, mis en ligne le 23 juin 2011, modifié le 24 juin 2011. URL : http://cybergeo.revues.org/23818

Théry, H., Mello Théry, N.A de,  Girardo E. et Hato, J, “Geografias do trabalho escravo no Brasil”, Nera 17, Presidente Prudente, juin 2011, pp. 7-28, http://www4.fct.unesp.br/nera/revistas/17/6_thery_et_al.pdf

Répercussions

Ce n’est  pas tous les jours qu’un travail de recherche universitaire franco-brésilien a cette répercussion et surtout des chances de peser sur la réalité sociale observée.

L’Atlas do trabalho escravo est l’objet de l’article de tête du bulletin de l’agence Fapesp, après avoir été en même position dans la Folha de S. Paulo online et signalé dans divers autres bulletins et blogs (voir ci-dessous). Nous avons par ailleurs répondu à bon nombre de demandes d’interviews dans des radios, dont la Radio Nacional de Brasilia et sa filiale Amazonia (qui diffuse en ondes courtes en Amazonie).

L’article de la Fapesp est le plus complet et le plus gratifiant pour nous, et il sort le lendemain du jour ou la Chambre des Députes a voté la confiscation des fazendas ou seraient trouvés des travailleurs en situation d’esclavage, ce qui fait qu’il pourrait avoir une réelle utilité dans les politiques publiques brésiliennes.

Agences officielles

Agencia Fapesp

http://agencia.fapesp.br/15642

Jornal da USP

Ano XXVII nº 962 de 11 a 17 de junho de 2012 “O mapa da degradação”.

http://espaber.uspnet.usp.br/jorusp/?p=22673

CNRS-INSHS, La vie des laboratoires

http://www.cnrs.fr/inshs/recherche/atlas-esclavage.htm

 Cendotec

ttp://comunidadefb.com.br/web/index_not.php?p=10000

Jornal da Ciência (JC),  Sociedade Brasileira para o Progresso da Ciência  (SBPC)

Número 4504, 24/5/2012

Agencia de Notícias para a Difusão da Ciência e Tecnologia (DiCYT), Salamanca

http://www.dicyt.com/noticia/atlas-mostra-fluxo-de-trabalhadores-escravos-no-brasil

Journaux nationaux

Folha de S. Paulo online (São Paulo)

(http://www1.folha.uol.com.br/empreendedorsocial/1090107-atlas-do-trabalho-escravo-no-brasil-pode-prevenir-exploracao.shtml)

Estado de S. Paulo (Saõ Paulo)

“Trabalho escravo” 9/6/2012

Globo (Rio de Janeiro)

http://oglobo.globo.com/rio20/pesquisadores-lancam-atlas-do-trabalho-escravo-5018243

EM Estado de Minas (Belo Horizonte)

http://www.em.com.br/app/noticia/tecnologia/2012/06/04/interna_tecnologia,298165/estudo-traca-retrato-do-escravo-contemporaneo.shtml

Correio Braziliense (Brasília)

http://www2.correioweb.com.br/euestudante//noticias.php?id=29828

Exame

http://exame.abril.com.br/economia/brasil/politica/noticias/pesquisadores-criam-atlas-do-trabalho-escravo-no-brasil

Journaux amazoniens

O Liberal (Belém)

http://www.orm.com.br/projetos/oliberal/interna/default.asp?modulo=250&codigo=596009

Gram-Pará:

http://www.grampara.com.br/atlas-do-trabalho-escravo-ajuda-empresas-a-se-prevenir/

O Paraense

http://www.oparaense.com.br/index.php?option=com_content&view=article&id=1795:o-atlas-do-trabalho-escravo&catid=5:direitos-humanos&Itemid=6

Portal da Amazônia

http://www.portalamazonia.com.br/editoria/amazonia/atlas-traca-perfil-de-escravo-contemporaneo-no-brasil/

Radios

CBN 

http://cbn.globoradio.globo.com/programas/cbn-noite-total/2012/04/19/OSCIP-AMIGOS-DA-TERRA-AMAZONIA-BRASILEIRA-LANCA-EM-PARCEIRA-COM-A-OIT-O-ATLAS-DO-TRA.htm

Radio Novo Tempo

http://novotempo.com/radio/2012/05/29/no-dia-do-geografo-conheca-o-trabalho-escravo-no-brasil/

ONGs

Repórter Brasil 

http://reporterbrasil.org.br/blogdaredacao/?p=930

Instituto Ethos

http://www1.ethos.org.br/EthosWeb/pt/6749/servicos_do_portal/noticias/itens/pelo_fim_do_trabalho_escravo_em_todo_o_mundo.aspx

IHU On-line
http://www.ihu.unisinos.br/noticias/508544-primeiroatlasdotrabalhoescravotrazferramentadeprevencaoparaasempresas

GT de combate ao Racismo Ambiental
http://racismoambiental.net.br/2012/04/primeiro-atlas-do-trabalho-escravo-traz-ferramenta-de-prevencao-para-as-empresas/

 Grupo de estudos de geografia histórica:

http://geohistorica.wordpress.com/category/grupo-de-estudos-de-geografia-historica/noticias/

 Amigos da Agroecologia:

http://agroecologiace.blogspot.com.br/

Blogs

Hum Historiador

http://umhistoriador.wordpress.com/2012/05/27/atlas-do-trabalho-escravo-no-brasil-e-a-pec-438-01-do-senado/

Blog Quarto Poder
http://www.blogquartopoder.com.br/2012/04/primeiro-atlas-do-trabalho-escravo-traz.html

Margens, reflexões sociológicas

http://margensociologicas.blogspot.com.br/2012/05/atlas-do-trabalho-escravo-no-brasil.html

Professor News

http://www.professornews.com.br/index.php/component/content/article/93-tecnologia/2358-geografo-da-unesp-produz-atlas-do-trabalho-escravo

Diplomatizzando (Paulo Roberto de Almeida)

http://diplomatizzando.blogspot.com.br/2012/05/o-brasil-e-o-trabalho-escravo-atlas.html

Revista Giz

http://revistagiz.sinprosp.org.br/?p=2015