Institut des Hautes Etudes de l'Amérique latine
Centre de recherche et de documentation sur les Amériques

Communiqué de l'IHEAL et du CREDA sur la loi ORE

Communiqué des enseignants-chercheurs et chercheurs de l’IHEAL et du CREDA sur la loi ORE

Nous, enseignant·e·s chercheurs·ses de l’Institut des Hautes Etudes de l’Amérique latine (Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3), titulaires comme précaires, et chercheurs·ses du Centre de Recherche et de Documentation des Amériques (CREDA – UMR 7227), exprimons ensemble notre opposition à la loi « Orientation et Réussite des Etudiants » (ORE) et, en particulier, à la réforme de l'accès à l'université qu'elle impose. 

Si l’'IHEAL n'assure aucune admission en première année de licence, nous ne sommes pas pour autant indifférent·e·s à ces transformations brutales. La plate-forme Parcoursup n'est pas un simple outil qui modifie les modalités d'entrée dans l’enseignement supérieur en mettant fin aux procédures de tirage au sort. Il s'agit au contraire d'une transformation profonde de l'université qui, sous couvert d’une meilleure orientation des étudiant·e·s, va concrètement interdire à certains jeunes bachelier·e·s d’accéder aux filières de formation désirées. En outre, tou·te·s les enseignant·e·s du supérieur savent qu’il sera impossible, dans les conditions matérielles qui règnent actuellement au sein des universités, d’examiner chaque dossier avec l’attention qu’il mérite et que les choix qui seront faits relèveront d’un arbitraire guère différent de celui du tirage au sort. Quant aux parcours d’accompagnement et cours de mise à niveau prévus par la loi ORE pour les étudiant·e·s qui peineraient à trouver leur place dans une filière, on se demande toujours comment ils pourraient être créés, puisque les universités au bord de l’asphyxie financière sont un peu plus nombreuses chaque jour et peinent déjà à assurer au quotidien les formations accréditées par le ministère de l’Enseignement supérieur. Comment ne pas voir, finalement, que cette réforme favorisera une différenciation croissante entre des établissements dits « d’excellence », qui accueilleront les « meilleur·e·s lycéen·ne·s » et pourront ainsi draîner davantage de financements publics ou privés, et des établissements « de second rang »  – pour ne pas dire de « seconde zone » – que l’on tentera bientôt d’éviter, quitte à choisir quelque école privée au prix d’un lourd endettement ? 

La vision des études supérieures que dénote Parcoursup n'est cependant pas nouvelle et s’inscrit dans la stricte continuité de la loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU) promulguée en 2007 sous l’égide de Valérie Pécresse. Mise en concurrence des universités conçues comme des entreprises, quête effrénée de « ressources propres » et tentation désormais évidente (comme à l’Université de Nice) de faire payer très cher les formations les plus réputées, bureaucratisation croissante des procédures, restriction des moyens alloués par l’État dans un contexte de forte augmentation des effectifs étudiants : c’est en réalité l’idée même d’un service public de l’enseignement supérieur que l’on attaque continûment depuis dix ans. L’université publique en tant que lieu possible d’ascension sociale et d’épanouissement intellectuel de la jeunesse est en train d’être sacrifiée sur l’autel de la baisse des dépenses publiques et de la rentabilité des investissements de l’Etat, selon des mécanismes qui affectent également le monde de la recherche.   

Contre des réformes qui veulent faire de l’enseignement supérieur un simple centre d'acquisition de compétences professionnelles segmentées, nous défendons une université publique ouverte, lieu de savoir et d’émancipation, creuset de la vie citoyenne, dans laquelle les étudiant·e·s ne sauraient être réduit·e·s à des consommateurs·trices de diplômes. Contre des gouvernements qui n’adaptent pas les dotations financières de l’enseignement supérieur à la progression des effectifs étudiants et aux transformations internationales du monde académique, nous revendiquons un plan d’investissement à long terme qui permette d’offrir à tou·te·s les étudiant·e·s une formation de qualité. Nous exprimons donc notre entière solidarité avec mes étudiant·e·s mobilisé·e·s et les collègues refusant de mettre en place le dispositif Parcoursup et exigeons, nous aussi, l'abrogation de la loi ORE. Nous ferons tout pour que l’université française ne soit pas à son tour victime des fléaux induits par le retrait de l’État, fléaux qu’ont vécus et que vivent encore de nombreuses universités publiques des Amériques que nous connaissons bien.

Paris, le 17 avril 2018

Liste des signataires

Clément Astruc, doctorant contractuel et moniteur histoire ; Capucine Boidin, MCF HDR anthropologie ; Giulia Calderoni, doctorante contractuelle en histoire ; Olivier Compagnon, PR histoire ; Florencia Dansilio, ATER sociologie ; Juliette Dumont, MCF histoire ; David Dumoulin, MCF sociologie ; Marie Laure Geoffray, MCF science politique ; Santiago Giraldo, doctorant contractuelle en histoire ; Christophe Giudicelli, MCF histoire Rennes 2 et chercheur CREDA ; Camille Goirand, PR science politique ; Isabelle Lausent-Herrera, CR sociologie ; Gilles Martinet, doctorant contractuel et moniteur géographie ; Denis Merklen, PR sociologie ; Etienne Morales, doctorant contractuel et moniteur histoire ; Chloé Nicolas-Artero, doctorante contractuelle et monitrice géographie ; Florian Opillard, ATER géographie ; Mickaël Orantin, doctorant contractuel en anthropologie ; Franck Poupeau, DR sociologie ; Louise Rebeyrolle, doctorante contractuelle et monitrice science politique ; Nicolas Richard, CR histoire CREDA ; Juliette Roguet, doctorante contractuelle et monitrice anthropologie ; Anna Schmit, ATER anthropologie.