Institut des Hautes Etudes de l'Amérique latine
Centre de recherche et de documentation sur les Amériques

Des précisions sur les relations Mario Sandoval – IHEAL/Sorbonne Nouvelle

 

 

Des précisions sur les relations  Mario Sandoval – IHEAL/Sorbonne Nouvelle

 

Carlos Quenan

Professeur des universités en sciences économiques à l’IHEAL, Université Sorbonne Nouvelle, Vice-président de l’Institut des Amériques

 

Accusé d’être impliqué dans la disparation forcée d’un étudiant d’architecture à Buenos-Aires en 1976, Mario Sandoval a été extradé le 15 décembre dernier vers son pays d’origine, l’Argentine, après huit ans de procédures judiciaires.

 

Face aux approximations diffusées à travers les réseaux sociaux sur les relations Mario Sandoval – Institut des Hautes Etudes de l’Amérique latine (IHEAL)/Université Sorbonne Nouvelle et mon rôle dans ces relations, je tiens à préciser les points suivants.

 

1. Le recrutement de Mario Sandoval en 1999 à l’Université Paris 3 Sorbonne Nouvelle a eu lieu selon la procédure en vigueur. Chargé de cours depuis 1994 dans un master de l’Université de Marne-la-Vallée, j’ai proposé en 1999, comme je l’ai fait pour d’autres chargés de cours, son recrutement à Jean-Michel Blanquer, directeur de l’IHEAL à l’époque, pour effectuer des interventions dans le cycle « Ateliers spécialisées et conférences de professionnels – Géopolitique de l’Amérique latine »  dans le Diplôme d’Etudes Supérieures Spécialisées (DESS) « Echanges Internationaux Europe- Amérique latine » dont j’ai été le directeur entre 1996 et 2007. Par la suite le dossier a été transmis par les voies habituelles, c’est-à-dire par le directeur de l’IHEAL, à la Commission Scientifique de l’Université Paris 3 Sorbonne Nouvelle qui a validé le recrutement de plusieurs chargés de cours vacataires dont celui de Mario Sandoval.  Bien entendu, à ce moment-là il n’y avait rien dans le CV de Sandoval permettant de déceler un passé de tortionnaire en Argentine. Un autre CV circulant actuellement sur les réseaux sociaux, que Sandoval a déposé à l’Université de Marne-la-Vallée vers 1995-1996 et qui faisait état de ses fonctions d’enseignant à l’école de police et à l’école militaire de l’Argentine avant 1985, n’était connu ni par moi ni par les autres enseignants en poste à l’IHEAL. Il va de soi que j’aurais refusé d’intégrer M. Sandoval à l’IHEAL en tant que chargé de cours si j’avais eu le moindre soupçon sur le passé de M. Sandoval tant pour des motifs institutionnels évidents que pour des raisons politico-personnelles (j’ai été moi-même prisonnier politique en Argentine en 1975 puis exilé politique au Venezuela et au Mexique pendant les années de la dernière dictature militaire, soit 1976-1983).

 

Pour conclure sur la question du recrutement de Mario Sandoval il est à noter que :

 

a) le caractère spécifique d’un DESS (aujourd’hui devenu Master Pro) faisait que l’on pouvait engager des professionnels en fonction d’une expertise précise sans forcement demander une copie de leur diplôme ;

 

b) dans le cas particulier de Sandoval le fait que le CV qu’il a présenté à l’IHEAL ne coïncide pas avec celui qu’il avait fourni à l’Université de Marne-la-Vallée ne semble pas étonnant ex-post. L’avocate de l'Etat argentin pour soutenir la demande d’extradition de M. Sandoval effectuée par ce pays, Me Sophie Thonon-Wesfreid, a déclaré « qu’il a toujours dissimulé son rôle pour se présenter sous le meilleur jour possible et que, après avoir examiné ses CV, aucun d'eux ne se ressemblait» https://fr.euronews.com/2019/12/16/l-ex-policier-mario-sandoval-extradepar-la-france-vers-buenos-aires ;

 

c) dans un article de Laurence Mazure paru dans le Monde Diplomatique de mai 2007 (« Imprudences ou connivences », https://www.mondediplomatique.fr/2007/05/MAZURE/14697) où l’on soulignait les agissements douteux de Mario Sandoval qui, en se présentant comme « professeur à la Sorbonne », apparaissait comme conseiller politique des chefs des Autodéfenses unies de Colombie (AUC) pendant les années 2000, Georges Couffignal -directeur de l’IHEAL entre 2006 et 2011- affirmait que Sandoval avait été « un chargé de cours, parmi tant d’autres, et non professeur, jusqu’en 2004 ». Il y ajoutait que « ces derniers –les chargés de cours- ne sont recrutés que sur leur compétence –nous ne sommes pas équipés pour procéder à une enquête de police-, pour enseigner durant un temps limité » et que « lorsqu’il y a utilisation du titre ‘professeur’ par un chargé de cours, il s’agit d’un abus, seuls les enseignants ayant été recrutés sur un poste par voie de concours pouvant s’en prévaloir. »

 

 

2)  Polymnia Zagefka, qui a été la directrice de l’IHEAL dans la période 20042006, a décidé de ne pas renouveler le contrat de chargé de cours de Mario Sandoval en 2005. Cette décision a été adoptée après que Mme Zagefka ait refusé de contribuer au financement d’un colloque que Mario Sandoval avait proposé, en raison du caractère non scientifique du dit colloque. Cette décision a été adoptée par la directrice après avoir tenu compte de l’avis d’un enseignant-chercheur titulaire qui, dans le cadre des enseignements et des axes de recherche de l’IHEAL et du Centre de Recherche et de la Documentation sur les Amériques (CREDA), était le spécialiste reconnu de la thématique « Violence, armées et pouvoir ». Pour ce qui est du non renouvellement du contrat de Mario Sandoval, Polymnia Zagefka a demandé, comme il est d’usage, mon avis en tant que responsable du diplôme où ce vacataire enseignait et j’ai donné mon accord. Qui plus est, j’ai participé activement à la mise en place de cette décision.

 

 

3) Quant à la Lettre ouverte à la Cour de Versailles, qui devait rendre son jugement en délibéré le 14 décembre 2017 sur la question d’autoriser l’extradition de Mario Sandoval demandée par la justice argentine, élaborée à l’initiative d’Olivier Compagnon, alors directeur de l’IHEAL, et signée par les enseignants de l’Institut réunis en Comité de direction le 8 septembre 2017, elle n’a pas été proposée à ma signature. La raison est simple : étant encore détaché à l’Ambassade de France au Mexique (où j’ai été Attaché de coopération pour les sciences sociales dans la période 2015-2017), je n’ai pas participé à la réunion du Comité de direction du 8 décembre 2017.

 

 

En somme, il n’y a pas eu d’affaire « recrutement d’un tortionnaire à l’IHEAL ». Au contraire, nous -c’est-à-dire moi-même et tous les responsables et enseignants en poste à l’IHEAL ainsi que l’institution ellemême-, avons été des victimes de cet épisode lamentable. Ceci a pu se produire, dans une large mesure, parce que Mario Sandoval, qui avait obtenu la nationalité française en 1997, était déjà inséré depuis 1994 dans les circuits universitaires et de l’enseignement supérieur français. En outre, comme on le sait maintenant, l’activité et les responsabilités de Mario Sandoval pendant la période de la dictature militaire, qui sont à la base de la demande d’extradition effectuée par la justice argentine, ont commencé à être connues à partir de 2008.

 

En ce qui me concerne, j’ai répudié et répudierai toujours le terrorisme d’Etat exercé par la dictature militaire au pouvoir en Argentine entre 1976 et 1983 qui s’est traduit par des actes aberrants constituant des crimes contre l’humanité car ils représentent une offense à la condition humaine.

 

 

Paris, le 13 janvier 2020