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Hommage à Jean Revel Mouroz
La communauté de l’IHEAL et du CREDA, ainsi que des collègues d’Amérique latine et du latino-américanisme, ont appris avec tristesse le décès de Jean Revel-Mouroz le 19 juin dernier. Jean Revel-Mouroz avait été le directeur adjoint du laboratoire de recherche, qui s’appelait alors le CREDAL entre 1982 et 1988, avant d’en devenir le directeur jusqu’en 2000. Lui avait alors succédé Maria Eugenia Cosio Zavala, après deux décennies passées au service de l’équipe de recherche.
Jean Revel Mouroz avait été formé à la géographie à l’Ecole normale supérieure de Saint Cloud, avant de s’orienter vers des recherches mexicanistes. En 1963 il réalise un grand périple en Amérique du Nord et du Centre, qui le mène des Etats-Unis au Guatemala en traversant le Mexique. Il revient au Mexique après avoir passé l’agrégation de géographie et entame une thèse dite de troisième cycle sous la direction d’Olivier Dollfus, thèse qu’il présente en 1971 devant l’université de Paris 7. Il a choisi de consacrer sa recherche à L’aménagement et à la colonisation du tropique humide au Mexique, c’est-à -dire à l’histoire de la mise en valeur et de l’occupation du sud-est mexicain. Ce travail s’inscrivait dans la lignée des travaux alors menés par Pierre Monbeig sur les fronts pionniers brésiliens, mais dans le contexte très différent du Mexique. Ce travail, désormais accessible en ligne[1] rend compte de la réflexion d’un géographe attentif à l’aménagement et à l’action de l’Etat et des entreprises dans les territoires, et réfléchissant à la modernisation ses sociétés et des territoires d’Amérique Latine.
Jean Revel-Mouroz s’était ensuite beaucoup investi dans le fonctionnement du CREDAL, travaillant main dans la main avec Pierre Monbeig, ainsi que la structuration de la recherche latino américaniste en France, notamment avec Romain Gaignard. Toujours intéressé par le Mexique, il avait lancé de nouveaux programmes de recherche portant sur la frontière Nord en partenariat avec le Colegio de la Frontera de Tijuana, donc sur les phénomènes de frontière et dans la perspective d’organisation des migrations et de l’activité économique. Il avait ensuite porté son intérêt sur l’Argentine, où nous nous étions retrouvés (Sébastien Velut) pour la première fois en 1989 ; alors que je préparais le diplôme de l’IHEAL. Il venait y parler des liens entre industries, technologies et territoires. En Argentine, de nouvelles collaborations se mettaient en place, avec notamment Elsa Laurelli, connue au Mexique, et l’équipe du CEUR (Centro de Estudios Urbanos y Regionales) qui ont débouché sur le suivi de nombreuses thèses de doctorat (Alejandro Schweitzer, Elma Montaña, Silvina Carrizo, Guillermina Jacinto, Pablo Cicolella, et Elsa Laurelli elle-même)
N’ayant plus de temps à consacrer à des recherches de terrain approfondies, il avait œuvré pour organiser des programmes collectifs avec des collègues argentins et français. Situé à une position centrale dans les réseaux de la géographie latino américaniste Jean Revel Mouroz a dirigé – d’après la base doc thèse – trente-deux thèses de doctorat soutenus entre 1987 et 2003 et préparées non seulement par des étudiant.e.s formé.e.s à l’IHEAL, mais également des chercheurs ayant déjà avancé dans leur carrière en Amérique latine et souhaitant synthétiser leurs recherches en soutenant un doctorat. Elles ont porté logiquement sur le Mexique et sur l’Argentine, mais également sur le Brésil. Les doctorantes et doctorants qu’il a suivis se souviennent d’un directeur de recherche qu’il fallait longuement attendre sur les fauteuils rouges du premier étage de l’IHEAL ou dans les locaux d’Ivry-sur-Seine, mais qui consacrait ensuite tout son temps et son attention à discuter des recherches, poussant à aller toujours plus loin, à enrichir les thèses avant de donner son accord pour la soutenance. Il encourageait à prendre des sujets difficiles et à travailler en équipe, en mobilisant des réseaux avec ses nombreux collègues qu’il mettait généreusement en contact. Dans des terrains lointains, comme la Patagonie que nous avons parcouru en 2000 (Silvina Carrizo), aucun detail n’échappait à ses carnets et à ses enregistrements, qu’il partageait ensuite. Il enseignait dans le programme de DEA de l’IHEAL, avec Alain Vaneph. Arrivant en cours avec un épais dossier rempli de documents, il se lançait dans de longs monologues par lesquels il remettait en perspective l’action de l’Etat et des entreprises dans les dynamiques des territoires latino-américains en s’appuyant sur sa vaste expérience, ses innombrables lectures et la conviction que l’Amérique latine devait et pouvait se moderniser. Son engagement universitaire allait plus loin puisqu’il devint pour deux mandats vice-président à la recherche pour la Sorbonne Nouvelle : il n’était pas fréquent qu’un chercheur CNRS accepte de telles charges.
Dans une équipe de recherche brillante mais connaissant parfois des difficultés, Jean Revel-Mouroz avait su garder le cap. Attentif à chacun, il ne perdait jamais de vue l’intérêt collectif et se préoccupait de la structuration à long terme de la recherche, en évitant de rentrer dans les querelles de personnes. Très pris par ses différentes missions, il a malheureusement peu écrit, mais il a formé de nombreux géographes qui ont à leur façon exploré les pistes de recherche qu’il avait indiquées.
L’IHEAL et le CREDA adressent à sa famille leurs plus sincères condoléances et prévoient d’organiser à l’automne un hommage à Jean Revel-Mouroz
Sébastien Velut – Silvina Carrizo
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