Institut des Hautes Etudes de l'Amérique latine
Centre de recherche et de documentation sur les Amériques

Lettre ouverte des enseignants chercheurs au président de l’université Sorbonne Nouvelle

Lettre ouverte des enseignant-es chercheur-es au président de l’université Sorbonne Nouvelle - Situation de notre université.

 

 'Notre souffrance est politique'

 

Nous, enseignants-chercheurs de l'université Sorbonne nouvelle, souhaitons faire part de l’épuisement croissant que nous subissons, qui a pour cause les politiques de l’enseignement supérieur et de la recherche menées depuis la LRU. La communauté que forment les personnels titulaires, précaires et administratifs est en grande souffrance. Les EC, malgré leur engagement, sont de moins en moins en condition d’effectuer la mission de service public qui leur est confiée. De ce fait, ils se sentent découragés, impuissants, désabusés. Nous portons nos souffrances à la connaissance de l’ensemble des composantes de l’USN car cette fatigue n’est ni individuelle ni conjoncturelle mais découle de politiques de destruction de l'ESR.

 

Nous apportons notre soutien au collectif des précaires de l’Université Sorbonne nouvelle. Le conflit n’est pas entre titulaires et précaires mais entre l’ensemble de la communauté universitaire et les responsables d’une politique qui attaque l’université dans ses fondamentaux et la met en péril dans son intégralité. Nous sommes aujourd’hui obligé.e.s de recruter chaque année des collègues précaires pour effectuer le même travail que nous, par manque de postes pérennes dans l’enseignement supérieur et la recherche.

 

Nous n’acceptons plus que l’on continue à exploiter nos collègues non titulaires. Insupportable pour les précaires de l’université, la situation est aussi intenable pour les titulaires. Chaque année le recrutement d’enseignants non titulaires a un impact sur les EC contraint.e.s d’organiser ces recrutements et sur les personnels administratif.ve.s chargé.e.s de gérer cette précarité, sans compter les tensions que cette gestion imposée de la pénurie provoquent parfois entre titulaires et précaires. Le déficit de personnel administratif ajouté à celui des titulaires se traduit par une multiplication de tâches qui augmentent notre souffrance et produisent une détérioration de la qualité de l’enseignement et de la recherche, nos véritables métiers. Dans le même sens de cette précarisation par surcharge de travail, les titulaires sont contraints à assumer des responsabilités administratives (direction de diplôme, de laboratoires, d’instituts et d’UFR, de départements, de conseils divers) sans cesse en tournant les uns sur les responsabilités des autres sans repos. Un cumul d’épuisement est palpable au sein de la totalité des équipes.

 

Le manque de postes pérennes, la non mensualisation de nos collègues chargé.e.s de cours, le niveau indigne de leurs rémunérations, la hausse du taux d’encadrement des étudiant.e.s en mémoire ainsi que l’inflation des tâches administratives sont les conséquences de décisions politiques. Il s'agit bien d'une situation structurelle, provoquée par le sous-investissement depuis 15 ans de l'université et de la recherche publiques, aggravée par une LPR plus soucieuse de mise en compétition des individus et des établissements que de permettre aux personnels d'assurer leur mission de service public. La crise sanitaire que nous connaissons depuis un an n'a fait qu'exacerber et amplifier un épuisement et un mal-être dénoncés depuis de nombreuses années.

 

Dans ces conditions, nous ne pouvons plus faire face. Nous sommes épuisé.e.s et indigné.e.s. Ces conditions de travail ont un impact sur notre santé, notre vie personnelle et le sens que nous donnons à notre métier. Nous ne sommes plus en mesure d’accompagner correctement nos étudiant.e.s et nos doctorant.e.s ainsi que nos collègues les plus précaires.

 

Cette situation s’est fortement aggravée avec la pratique de l'enseignement et de la quasi totalité des tâches administratives à distance ; pratique qui dissout les liens humains de coopération, de camaraderie, de pédagogie, de solidarité et de convivialité. Nous sommes acculé.e.s à n’être plus que des agent.e.s isolé.e.s alors que le cœur de l’activité universitaire suppose la possibilité de se constituer en collectifs et en équipes. Pouvons-nous être assuré.e.s que cette exigence n’obéit qu’à un impératif sanitaire et qu’elle ne sera pas pérennisée dans un impératif de rendement budgétaire où les coûts du travail sont transférés aux étudiant.e.s et aux enseignant.e.s-chercheur.seuse.s devenu.e.s “usagers”?

 

Par ailleurs, nous dénonçons avec colère et indignation la mise en oeuvre du désastreux dispositif Bienvenue en France qui effectue un tri entre étranger.e.s sur des critères de revenu, donc de classe et d’origine sociales. Cette ambition élitiste, qui promeut la non-mixité sociale, est intolérable dans le monde universitaire et participe activement au renforcement et à la superposition d'autres types de stigmatisations et de discriminations, notamment ethnico-raciales, à l'égard des étudiant.e.s les plus démunis. Dans notre université, sa mise en œuvre à la rentrée 2021 aurait pour conséquence l’exclusion de plusieurs centaines d’étudiant.e.s étrangèr.e.s qui subviennent eux-mêmes à leurs besoins. Étudiant.e.s, mais aussi travailleur.seuse.s pauvres et précaires, ils.elles seront dans l’incapacité absolue d’acquitter des droits annuels compris entre 2770 euros (licence) et 3770 euros (master). Nous recevons aujourd’hui des messages de désespoir de ces étudiant.e.s, bientôt obligé.e.s d’interrompre leur formation, quels que soient leurs résultats.

 

La diversité de nos publics étudiants contribue à la richesse de nos formations. Comment “l’université des cultures” pourrait-elle participer à une politique de tri et de sélection si éloignée de son histoire d’ouverture, d’accueil, d’échanges? Nous demandons au président de la Sorbonne nouvelle de ne pas appliquer ce dispositif inique et de se faire notre porte-parole auprès du ministère et de la CPU pour en exiger l’annulation immédiate.

 

Pour toutes ces raisons :

 

· Nous n’acceptons plus d'effectuer des tâches qui dénaturent nos métiers et font peser sur les individus le fonctionnement d’un système en faillite, tant à l’échelle de notre établissement qu’à l’échelle nationale.

· Nous soutenons les revendications des précaires sur lesquels nous ne ferons pas pression pour qu'ils.elles rendent leurs notes du second semestre s'ils.elles décident de s'associer au mouvement initié par le collectif de la Sorbonne nouvelle.

· Nous refusons de solliciter et de nous charger du recrutement de précaires pour assurer des charges de cours tant qu'il n'y aura pas de volonté politique claire de la présidence de l’université Sorbonne nouvelle de faire avancer ce dossier, de le porter à la CPU et au ministère.

· Nous refusons d’effectuer les heures complémentaires imposées.

· Nous demandons le gel immédiat de la mise en œuvre du dispositif Bienvenue en France.

 

De ce fait, nous demandons au président de la Sorbonne nouvelle de respecter ses engagements et de défendre la communauté universitaire présente dans notre établissement, tant par sa gestion interne qu’en se faisant notre représentant auprès des organes directeurs de l’ESR et du gouvernement.

 

Pour signer rendez-vous au lien suivant.


© IHEAL-CREDA 2021 - Publié le 4 mai 2021 - La Lettre de l'IHEAL-CREDA n°53, mai 2021.