Institut des Hautes Etudes de l'Amérique latine
Centre de recherche et de documentation sur les Amériques

Motion du comité de direction de l’Institut des Hautes Études de l’Amérique Latine

 

La validation par le Conseil d’État du principe de droits d’inscription multipliés par 10, 15 ou 16 (de 170 à 2770 euros au niveau de la licence, de 243 euros à 3770 euros au niveau du master, de 380 à 3770 euros au niveau du doctorat) pour les étudiants extra-européens venant suivre un cursus dans une université française constitue un pas supplémentaire vers la mise à mort d’un service public de l’enseignement supérieur et de la recherche. L’idée d’une différence de traitement fondée sur le critère de la nationalité est une atteinte aux principes d’égalité et d’universalité, particulièrement malvenue au moment où les idéologies racistes et les nationalismes agressifs inclinent un peu partout dans le monde à la fermeture des frontières et à l’assignation identitaire. La décision du gouvernement repose sur une logique économique douteuse selon laquelle une bonne formation serait nécessairement une formation onéreuse, puisque l’argent est désormais le critère premier de la mesure du monde et de la société. C’est oublier que cette population étudiante, au sein de laquelle figurent tant des membres des milieux défavorisés ou des classes moyennes que des membres des élites, fait le choix de la France en raison des nombreuses filières d’excellence qu’elle propose et des valeurs d’égalité et d’universalité qu’elle véhicule. Or ce sont précisément, au bout du compte, ces valeurs démocratiques que la décision du gouvernement remet en cause, tout comme son obstination à faire passer en force la Loi de Programmation Pluriannuelle de la Recherche.

 

Largement dénoncée et combattue depuis janvier par un mouvement réunissant tous les acteurs de l’enseignement supérieur et de la recherche, la LPPR prévoit de renforcer la compétition entre tou·tes pour des financements et des postes toujours plus rares et plus précaires, tout en augmentant le transfert de financements et de résultats de la recherche du public vers le privé. Parmi les dispositions prévues, l’instauration de « tenure tracks », qui pourraient représenter jusqu’à un quart des nouveaux recrutements de directeurs de recherche et de professeurs des universités, risque de faire exploser les inégalités de salaire et de statut dans les universités, menaçant ainsi les collectifs de travail qui les font fonctionner. Surtout, la LPPR est susceptible d’aggraver considérablement la vulnérabilité et la précarité qui sont désormais le lot des jeunes chercheurs, et donc de rendre les carrières de l’enseignement et de la recherche encore moins attractives. Ce constat a notamment été fait par le Conseil économique, social et environnemental, dont le récent rapport dénonce avec fermeté les effets pervers de la LPPR.

 

La LPPR comme la hausse des frais d’inscription pour les étudiants extra-communautaires relèvent d’une même logique de marchandisation du savoir, tant au niveau de sa production que de sa transmission. Elles viennent par ailleurs affecter un système de recherche et d’enseignement déjà exsangue du fait de l’austérité budgétaire qui y prévaut depuis 15 ans et largement éprouvé par ce qu’ont signifié le confinement et ses suites. Un système dont les acteurs/trices sont aujourd’hui sommés, sans moyens humains et financiers supplémentaires, d’organiser une rentrée sous le signe des mesures sanitaires liées à la COVID-19. L’absence de réel accompagnement, la sollicitation de personnels déjà épuisés, le refus de prendre en compte les revendications qui s’expriment depuis des mois (voire des années), etc. forment un contexte qui n’est pas sans rappeler la situation des hôpitaux à la veille de la pandémie : faut-il attendre que la situation soit aussi désespérée pour que le gouvernement comme l’ensemble du monde politique prennent conscience des implications (sociales, économiques, politiques, culturelles, environnementales) de la mise à mort de l’université et de la recherche comme service public ?

 

Est-il bien sérieux de renoncer à proposer des formations de qualité, ouvertes à tout.te.s et  d'enfermer la recherche dans une logique à court terme quand on sait les défis qui sont ceux de notre monde ?

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