Institut des Hautes Etudes de l'Amérique latine
Centre de recherche et de documentation sur les Amériques

Pour une université publique forte et solidaire

Réponse du président de la Sorbonne Nouvelle à la Lettre ouverte des enseignant-es chercheur-es.

 

'Pour une université publique forte et solidaire'

 

Cher.e.s collègues,

Par votre lettre ouverte intitulée “Situation de notre université. Notre souffrance est politique”, vous interpellez la présidence de la Sorbonne Nouvelle en lui exposant trois principaux griefs :

· la surcharge actuelle de travail, notamment administratif pour les enseignant.e.s et les enseignant.e.s-chercheur.e.s, que vient aggraver la crise sanitaire,

· la situation de précarité de certain.e.s chargé.e.s de cours que vous êtes “obligé.e.s de recruter chaque année (...) pour effectuer le même travail que (v)ous, par manque de postes pérennes dans l’enseignement supérieur et la recherche”,

· l’application du plan Bienvenue en France à la Sorbonne Nouvelle.

Vous me demandez à ce titre de “respecter (mes) engagements et de défendre la communauté universitaire présente dans notre établissement, tant par sa gestion interne qu’en se faisant notre représentant auprès des organes directeurs de l’ESR et du gouvernement.”

 

Je tiens à vous exprimer mon accord le plus complet quant à votre diagnostic sur la situation de “gestion imposée de la pénurie” dont le monde universitaire français fait hélas aujourd’hui les frais. De même, je vous rejoins sur le fait que, par-delà les effets de la pandémie, à l’origine de tant de bouleversements dans nos modes de travail, la fatigue éprouvée par tou.te.s “n’est ni individuelle ni conjoncturelle” mais découle en grande partie “de politiques de l’enseignement supérieur et de la recherche menées depuis la LRU”.

 

Je tiens également à vous exposer comment l’équipe présidentielle, en respectant scrupuleusement le programme qu’elle avait annoncé, s’emploie depuis le début de son mandat à résoudre les problèmes que vous dénoncez.

 

I. Surcharge de travail et précarité

Dès 2018 puis à partir de mon élection, j’ai affiché deux priorités indissociables qui ont été portées au contrat de site de notre établissement et que je n’ai eu de cesse de défendre dans le cadre de notre gestion interne et auprès de nos tutelles :

· Doter la Sorbonne Nouvelle d’une organisation optimale  - ce qui supposait d’en finir avec le fonctionnement en silos et, disons-le, l’anomie parfois -  en rétablissant notamment un bon fonctionnement de la chaîne budgétaire et comptable de notre université afin que nous tou.te.s puissions gérer nos ressources de la manière la plus rationnelle possible, et accomplir au mieux nos missions de service public ;

· Stabiliser et sécuriser la situation des personnels BIATSS,  en rehaussant et en refondant leur régime indemnitaire, plus particulièrement. 

Il s’agissait, en l’occurrence, de répondre sans plus attendre à un impératif de justice sociale, notre université connaissant l’un des régimes indemnitaires les plus bas de France. Mais cette ligne politique s'inscrit aussi dans un constat pragmatique: il convenait de juguler l’hémorragie des personnels administratifs, et de mettre fin, par là même, au découragement de celles et ceux qui restaient; de sortir, en somme, de l’impasse que représentait pour chacun.e d’entre nous l’impossibilité de compter sur des collectifs de travail stables.

Cette politique sociale menée sans relâche depuis deux ans répond donc directement à la première préoccupation sur laquelle vous m’alertez aujourd’hui: en consolidant le socle administratif de notre établissement, la visée est en effet d’offrir à chacun.e d’entre nous (étudiant.e.s et agent.e.s) le meilleur service possible et de permettre à chacun.e des personnels de notre université, quels qu’ils/elles soient, de pouvoir enfin se recentrer sur son cœur de métier: que vous soyez mieux épaulé.e.s au quotidien, et mieux accompagné.e.s dans la conduite de nouveaux projets, voilà notre objectif. Ainsi seulement éviterons-nous que les enseignant.e.s et enseignant.e.s-chercheur.e.s, en particulier, s’épuisent à accomplir des tâches pour lesquelles ils/elles n’ont pas été formé.e.s, ainsi que vous le déplorez à juste titre.

 

Malgré les fortes contraintes budgétaires auxquelles notre établissement est soumis alors même qu’il est tenu de revenir à l’équilibre d’ici à 2023, nous ne sommes pas revenus sur cette promesse. Mieux, nous l’avons d’ores et déjà concrétisée à travers les mesures suivantes, inscrites au budget 2021 :

· en direction des agents contractuels : 

- 130 000 € dédiés à une prime annuelle ; 
- revalorisation au pied de corps mises en œuvre dès le 1er septembre 2020 ;

- revalorisation triennale mise en œuvre le 1er janvier 2021 (environ 100 000 €) ;

· pour les agents titulaires : 

- 1,6 M€ sur 3 ans dédiés à la refonte du régime indemnitaire : 500 000 € dès cette année, puis de nouveau 500 000 euros l’année prochaine et 600 000 euros en 2023 ;
- mise en place d’un cadrage, enfin équitable, du RIFSEEP, approuvé par le Comité technique le 13 avril dernier et qui sera présenté au CA du 28 mai prochain, permettant à chaque BIATSS titulaire de bénéficier d’une prime définie suivant des critères objectifs tels que son grade, ses fonctions, ses responsabilités et/ou la technicité particulière de ses missions.

Le but est de créer de meilleures conditions de travail pour tou.te.s, en augmentant d’une part le ratio de nos collègues titulaires, au rebours d’une politique court-termiste de multiplication des CDD sans véritable perspective d’évolution de carrière, et en instaurant d’autre part un cadre pour une politique de CDIsation. Combattre la précarisation, c'est aussi cela.

II. Situation des chargé.e.s de cours doctorant.e.s ou docteur.e.s

La Direction des Ressources Humaines est désormais mobilisée pour que les chargé.e.s de cours  puissent, quel que soit leur statut par ailleurs (doctorant.e.s non contractuel.le.s, docteur.e.s, professionnel.le.s d’autres secteurs, intermittent.e.s), voir leurs formalités de recrutement facilitées et accélérées, leur rémunération s’effectuer de façon rapide et régulière. Nous avons même proposé de mettre en place un système d’avance pour que les plus fragiles d’entre elles/eux soient payé.e.s dès le premier mois de leur contrat. Nous travaillons également - et cela relève dans ce cas non plus seulement de l’administration de notre université mais d’un engagement de tous les personnels - à ce qu’ils soient mieux informé.e.s et  mieux intégré.e.s à notre communauté.

Reste que je suis convaincu que nous engager sur la voie d’une contractualisation de chargé.e.s de cours constituerait une erreur au plan social, quand bien même d’autres universités en auraient fait le choix.

Comme j’ai eu l’occasion de le dire au “collectif des non-titulaires”: recourir à des contrats d’enseignement, c’est faire le jeu de la précarisation de l’ESR, c’est contribuer activement à la dislocation du statut d’enseignant.e-chercheur.e, à l’exact opposé de ce que vous et moi voulons défendre. Faut-il rappeler que la mise en place de tels contrats, communément - et significativement  - désignés en tant que “contrats LRU”, dérive directement de la loi Pécresse?

Fer de lance de la dérégulation, ces contrats non seulement permettent de faire fi d’un certain nombre de garanties du niveau académique (obtention d’un doctorat, qualification) mais créent des situations locales très disparates: certains de ces contrats supposent d’accomplir un volume horaire plus qu’abondant, allant souvent jusqu’à 384 HTD annuelles, payées à un taux horaire dérisoire; d’autres proposent moins de 800 € mensuels pour 64 HTD. Dans l’un ou l’autre cas, sont-ce des conditions correctes pour assurer une activité de recherche ?

Certes, cela semble, à première vue, toujours mieux qu‘être vacataire d’enseignement. Mais il faut garder à l’esprit qu’une charge de cours n’a pas vocation à constituer une activité principale, quel que soit le contexte économique: c’est même contraire à la réglementation ; et c’est une dérive à laquelle les équipes pédagogiques ne doivent pas se prêter, quand bien même elles estimeraient de bonne foi rendre un service, car cette situation se retourne en définitive contre les intéressé.e.s. Sans compter que l’obtention d’un contrat LRU n’offre aucune garantie, bien au contraire, d’accéder par la suite à un poste de MCF titulaire, poste que tou.te.s les candidat.e.s à ce statut ne pourront de toute façon pas obtenir.

Car, ne l’oublions pas, chaque nouveau poste de contractuel est nécessairement décompté sur le plafond d’emplois de l’établissement recruteur, au détriment d’autres types de postes. En sorte que, par un effet pervers, plus on aura recours à des emplois d’enseignants contractuels et plus diminuera la possibilité d’accroître le nombre de postes d’enseignants-chercheurs titulaires.

C’est pourquoi, en responsabilité, je préfère me battre pour augmenter les moyens humains et financiers dans l’Université en général et dans notre université en particulier, et notamment en postes d’enseignant.e.s- chercheur.e.s. Aussi, la mission à laquelle je me consacre sans discontinuer depuis le début mon mandat consiste à obtenir d’abord un accroissement de notre subvention pour charge de service public, ce qui suppose que nous affichions une gestion saine et responsable de l’argent public et que nous donnions, qui plus est, des gages de notre attractivité et de notre capacité à déployer une démarche stratégique. 

Ma mission est aussi de faire en sorte que nous puissions dégager des marges de manœuvre budgétaires, en améliorant nos compétences financières, en augmentant nos recettes d’activité et en diminuant notre recours à des heures complémentaires lorsque celles-ci ne sont pas justifiées par notre projet pédagogique. Tel est précisément le programme que nous mettons en œuvre sans relâche malgré les crises liées à la situation sanitaire.

III. Opposition au plan “Bienvenue en France”

S’agissant de l’application de droits d’inscription différenciés à nos étudiant.e.s extra-communautaires à partir de la rentrée prochaine, je souhaite préciser que nous n’avons jamais dérogé à l’impératif que nous avons toujours défendu : faire en sorte qu’aucun.e étudiant.e ne renonce à faire ses études à la Sorbonne Nouvelle pour des raisons économiques.

Force est aussi de nous rendre à cette évidence: quoi que nous puissions penser, les uns et les autres, du plan Bienvenue en France, notre université est tenue d'appliquer ce qui a été voté par le Parlement. Et ce, d'autant plus que, malgré les recours déposés, deux autres instances démocratiques, le Conseil Constitutionnel et le Conseil d'État, ont validé l'application de cette disposition légale.  

L'arrêté du 19 avril 2019 relatif aux droits d’inscription dans les établissements publics instaure une augmentation des frais d’inscription à l’université pour les étudiant.e.s étranger.e.s non-ressortissant.e.s de l’Union Européenne s’inscrivant en licence ou en master (hors catégories spécifiques non-assujetties aux frais d'inscription comme les étudiant.e.s en conventions d’échange, les résident.e.s en France depuis plus de deux ans, etc.).

Utilisant un dispositif prévu dans le même arrêté, la plupart des établissements, dont la Sorbonne Nouvelle, ont décidé de ne pas appliquer les droits différenciés en adoptant une politique d’exonération partielle pour tou.te.s les extra-communautaires concerné.e.s pour les années 2019-2020 et 2020-2021, ramenant le montant de leurs droits au niveau de celui acquitté par les étudiant.e.s de l’Espace Économique Européen. Ce dispositif accorde aux établissements la possibilité d’exonérer les étudiant.e.s étranger.e.s non-ressortissant.e.s de l’Union Européenne dans la limite de 10% des étudiant.e.s inscrit.e.s (hors bénéficiaires d'une bourse d'enseignement supérieur accordée par l'État, pupilles de la Nation et hors étudiant.e.s étranger.e.s répondant aux conditions de l’article R719-50-1 du Code de l’éducation). Notre université faisait partie de celles qui, en raison de leur forte ouverture internationale, ont plaidé un relèvement du plafond d’exonérations au-delà de 10% des inscrit.e.s. En vain.

L’addition des cohortes d'étudiant.e.s exonéré.e.s a produit, comme vous pouvez l’imaginer, un effet cumulatif, saturant les capacités d'exonération. Dès 2021-2022, un grand nombre d’établissements sont en situation de dépasser la limite autorisée des 10 %. C’est le cas de la Sorbonne Nouvelle, particulièrement internationalisée dans ses recrutements : vous faites référence à l’ouverture sur le monde de notre université et en effet, les étudiant.e.s extra-communautaires représentent en moyenne 20% de ses inscrits.

Je tiens à souligner que notre établissement a souhaité utiliser pleinement les marges de manœuvre légales et décidé pour cette année de prolonger la politique d’exonération votée les deux années passées, à savoir exonérer pour la rentrée universitaire 2021-2022 tous les étudiant.e.s ayant déjà bénéficié de la mesure d’exonération, pour la « durée de la préparation du diplôme », les droits différenciés devant s’appliquer aux étudiant.e.s primo-entrant.e.s à partir de 2021 ainsi qu’aux étudiant.e.s qui redoublent (allongeant la durée de préparation du diplôme) ou qui changent de cycle.

Sur la base de la délibération du 18 décembre 2020, adoptée par son Conseil d’administration où diverses sensibilités sont représentées, la Sorbonne Nouvelle met par ailleurs en place une politique sociale tournée vers les étudiant.e.s ne bénéficiant pas d’exonération partielle et présentant une situation personnelle difficile et exceptionnelle (précarité, rupture familiale, perte d’emploi, etc.) ne leur permettant pas de payer les droits d’inscription. Ces derniers pourront dès le mois de juin faire une demande d’exonération totale en constituant un dossier qui sera examiné par une Commission d’exonération. Vous l’aurez donc compris : il ne s’agit en aucun cas pour notre établissement de sélectionner les étudiants les plus riches parmi ceux qui viennent étudier dans notre université, et encore moins de “participer activement au renforcement et à la superposition d'autres types de stigmatisations et de discriminations, notamment ethnico-raciales”, contrairement à ce que vous redoutez.

Il me tient à coeur, pour finir, d’exprimer une fois de plus toute ma reconnaissance à toutes les équipes de nos services et de nos composantes qui, dans une conjoncture qui continue d’être difficile, ne ménagent pas leurs efforts pour rebâtir la Sorbonne Nouvelle, ce qui implique et nécessite en même temps l’amélioration des conditions d’exercice de nos missions de service public, que nous veillons à mettre en oeuvre.

Aujourd’hui plus que jamais, nous devons maintenir ce cap social et responsable. Ce n’est en effet que par une mobilisation commune que nous ferons en sorte que si votre souffrance, si elle est indéniablement politique, ne devienne pas votre identité.

 

Jamil Jean-Marc DAKHLIA

Président

Université Sorbonne Nouvelle


© IHEAL-CREDA 2021 - Publié le 4 mai 2021 - La Lettre de l'IHEAL-CREDA n°53, mai 2021.