Edito
Après la fête : les défis pour le Mexique de l’ère AMLO
Après la fête : les défis pour le Mexique de l’ère AMLO
Par MarÃa Teresa MartÃnez*
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L’élection présidentielle qui s’est tenue au Mexique le 1er juillet est historique à plus d’un titre. Même ceux qui n’éprouvent pas de sympathie particulière pour le vainqueur -Andrés Manuel López Obrador (AMLO)- avaient des raisons de se réjouir : 63.42% des électeurs se sont rendus aux urnes pour exprimer leur volonté. La journée s’est déroulée dans une ambiance plutôt sereine, les perdants ont reconnu leur échec et ont offert leur soutien au Président élu. La voix de l’autorité électorale (INE) a été respectée et a recouvré une partie de sa réputation, perdue au cours des élections précédentes. Tous ces éléments peuvent paraître évidents dans une démocratie, mais au Mexique, ils ne vont pas de soi.
Il semble que la démocratie en éternelle construction montre des signes de maturité. Plus de 30 millions de mexicains (53.19% des électeurs) ont conduit à la tête de l’exécutif, un candidat de gauche, une première, ce qui représente déjà une petite révolution. Néanmoins, et comme après toute grande fête, le temps qui passe apaise les euphories et nous force à regarder la situation avec davantage de prudence, car aux grandes attentes nourries par le candidat sont liés d’énormes défis.
Pour mieux calibrer la victoire d’AMLO, distancé de plus de 30 points de son principal adversaire Ricardo Anaya, (PAN-PRD-MC), il faut ajouter la victoire de sa coalition politique (MORENA, PT, PES) au sein du Congrès, les fortes chances qu’il  aura d’y obtenir le soutien de la moitié des congrès locaux (ce qui lui permettra de réformer la Constitution avec certaine facilité), et la précaire situation dans laquelle se trouvent les autres partis politiques. En d’autres termes, les électeurs ont donné à AMLO un mandat très clair mais, par là -même, ils ont fait de lui le Président le plus puissant de l’histoire du Mexique depuis l’avènement de la démocratie dans le pays.
AMLO fait face à trois défis principaux :
1. Être le Président de gauche conservateur qu’il a promis d’être. Si on considère sa trajectoire politique et les alliances qu’il a conclues pour renforcer sa candidature, il n’y a pas de raison réelle qu’il adopte un agenda progressiste et moderne. En fait, son label de « gauche » est limité à la reconstruction du rôle de l’État face au marché et à la mise en place d’un gouvernement qui met l’accent sur la redistribution, pour réduire les profondes inégalités sociales. Même si cela semble indispensable face à l’échec du modèle économique prédominant, pour l’instant il ne propose pas de plan novateur qui fasse le pari d’un recentrement de l´État. En revanche, il a montré des signes de nostalgie d’un État qui contrôlait tous les domaines. Ainsi, il est facile pour ses détracteurs de dénoncer son intention de revenir à l’époque où tout était sous le pouvoir du Président. Comment positionner l’État au temps de la Mondialisation, des organismes autonomes et d’une société plus participative ? Cette question difficile à trancher est aujourd’hui entre ses mains.
2. Être un Président pour tous et pas seulement pour ses partisans. AMLO a fait de la confrontation un de ses outils préférés dans l’arène politique : contre les hommes d’affaires, les élites politiques, contre ce qu’il appelle la presse « biaisée » ou encore contre les intellectuels qu’il considère « proches du pouvoir ». Cela a été rentable pour le candidat mais cela pourrait s’avérer problématique pour le Président. Peu habitué à la critique et au débat, le puissant Président devra résister à la tentation de s’imposer et de transformer le soutien massif de ses électeurs en « bulldozer » des opinions divergentes. Ayant grandi et évolué au sein d’un système politique à parti hégémonique, AMLO devra apprendre à ne pas infantiliser les citoyens, à ne pas considérer qu’il détient le monopole du bien-être mexicain. De son côté, la société civile aura, semble-t-il, la responsabilité de devenir le seul contrepoids viable de cet immense pouvoir. La critique éclairée et les exigences de transparence seront les seuls leviers d’action dont elle disposera mais elles pourraient être perçues par AMLO comme autant d’attentats au projet qu’il souhaite développer pour le pays. Même si la tentation de voir émerger un leader qui tape du poing sur la table pour mettre de l’ordre dans une démocratie souvent chancelante est parfois forte, il faut se souvenir des mots de Brandt : les problèmes de la démocratie se résolvent avec davantage de démocratie.
3. Ne pas simplifier à l’extrême les problèmes auxquels le pays fait face. Bien que la volonté et la capacité d’action du Président soient des leviers importants pour améliorer significativement les conditions de vie des mexicains, elles ne sont pas suffisantes. La violence (criminelle et politique), la crise de l’insécurité, la corruption, la faiblesse de l’état de droit, la pauvreté, les inégalités, les failles du système d’éducation ou de la santé publique, parmi d’autres, sont autant de problèmes dont le dénominateur est commun : aucun d’entre eux n’est facile à comprendre ni à affronter. Porter une attention accrue à l’échelle locale et accepter ses limites est indispensable si le prochain Président veut commencer à tracer un chemin pour améliorer la situation. Le pays n’a pas besoin de solutions magiques ni de mesures improvisées, mais au contraire d’efforts visant à consolider des institutions et qui ne soient plus tributaires de l’intégrité d’un leader.
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*MarÃa Teresa MartÃnez est doctorante au CERI-Sciences Po
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© IHEAL-CREDA 2018 - Publié le 20 juillet 2018 - La Lettre de l'IHEAL-CREDA n° 20/21, août-septembre 2018.