Institut des Hautes Etudes de l'Amérique latine
Centre de recherche et de documentation sur les Amériques

Elections présidentielles chiliennes, tournant vers la gauche ou la modération?

Manuel Suzarte

Elections présidentielles chiliennes, tournant vers la gauche ou la modération ?

 

Dimanche 17 décembre 2017, Sebastian Piñera, homme d’affaires et ancien président de la république, a gagné le ballotage présidentiel au Chili. Ce jour-là, le pays semblait avoir tourné à droite, en renouant avec son côté plus modéré et traditionnel.

Premier moment : dimanche 19 novembre, premier tour présidentiel

Le triomphe de Piñera cache plusieurs éléments. Pendant un moment, plusieurs de ses partisans ont craint le pire, en particulier au moment de la publication des résultats provisoires du premier tour, le 19 novembre. En effet, Beatriz Sánchez, candidate de la nouvelle coalition de gauche « Frente Amplio » avait obtenu 20 % des votes, un résultat largement sous-estimé par les prévisions. Ce soir-là, avant la publication des résultats finaux, le « Frente Amplio » avait une vraie possibilité d’avancer vers le ballotage, mais a finalement obtenu la troisième place, derrière les 22 % de voix du candidat du gouvernement Alejandro Guillier.

Même si dans ce premier tour Sebastián Piñera a été vainqueur, son résultat est resté loin des pronostics, avec l’obtention de seulement 36% des voix (contre 40% minimum attendus). Pour la droite, le résultat est vécu comme un demi-triomphe ; ils étaient en tête du ballotage, mais le signal de l'électorat n'était pas si clair. Pour Guillier et le gouvernement de Michelle Bachelet, il s'agit d'une demi défaite : malgré le fait qu’ils soient au deuxième tour, non seulement le pourcentage de voix obtenu a été faible mais ils ont failli être éliminés du ballotage. En revanche, pour Beatriz Sánchez, on peut parler d’une « douce » défaite, parce qu’en parallèle le « Frente Amplio » a réussi à obtenir un groupe parlementaire important accomplissant ainsi une prouesse en seulement quelques mois. En ajoutant les pourcentages de vote obtenus par les autres candidats de centre-gauche, est resté l’impression que le Chili tournait  à gauche et que le ballotage devenait maintenant réellement compétitif.

Deuxième moment : vers le ballotage

Le lendemain, le pays entra dans la dernière étape du processus électoral, qui devait se terminer le dimanche 17 décembre. Face au scénario qu'on a décrit, la situation vénézuélienne a été utilisée comme rhétorique par la droite chilienne, comme un des éléments principaux pour mobiliser leur électorat. Le 21 novembre, un député récemment élu de la coalition de Piñera, déclara sa préoccupation face au futur du pays dans le cas d’une victoire de Alejandro Guillier, sa peur que ses enfants puissent vivre « une réalité comme (…) ce que sont en train de vivre des millions de vénézuéliens »[1]. De cette façon l’utilisation de ce Venezuela « épouvantail » (d’ailleurs également utilisé dans la campagne présidentielle française en 2017[2]) s’est constitué comme un possible futur apocalyptique pour le Chili, jouant sur les peurs des électeurs chiliens. Pour approfondir ce point, quelques jours après, Piñera lui-même a repris le sujet en se référant à son rival en termes similaires, déclarant que: “quand je vois Alejandro Guillier devenir violent, tellement insultant, il me fait  penser à [Nicolás] Maduro »[3]. Rapidement, Venezuela et chaos, dictature, autoritarisme et crise économique sont associés.

Le fantôme de la fraude électorale a été également utilisé durant la campagne. Le 4 décembre Piñera a appelé ses sympathisants à être vigilants, car pendant le premier tour auraient été observés « plusieurs votes déjà marqués par l’option de Sánchez ou Guillier »[4], déclarations graves qui n'ont jamais été suivies de preuves. Le message « piñerista » était  assez clair : caricaturer  Guillier comme une campagne de gauche radicale. Malgré les efforts de Piñera de revenir sur ces déclarations, ses paroles ont généré un rejet généralisé de la classe politique qui ont amené l’ancienne candidate du « Frente Amplio », Beatriz Sánchez, à appuyer publiquement la candidature de Alejandro Guillier.

Malgré cela, les autres figures de la coalition ont retardé leur appui public au candidat. L’idée qui s’imposa a été celle d’appeler à voter sous le slogan tacite de « tous contre Piñera », sans donner un appui explicite à Alejandro Guillier. Les leaders du « Frente Amplio » ont fait remarquer qu'ils votaient contre Piñera, malgré quelques déclarations tardives de soutien à Guillier. La situation française a fait parler d’elle dans les médias chiliens, dans le cadre de cette stratégie, faisant écho à la position de la France Insoumise de Jean-Luc Mélenchon qui n’a pas appelé à voter Macron, mais bien contre Le Pen au deuxième tour de l’élection présidentielle. Le parallèle paraît d’autant plus valide puisque Mélenchon lui-même commenta plein d’optimisme le premier tour de novembre, au sujet des 20% du « Frente Amplio » que “le Chili m’envahit” et que pour le mouvement de gauche global s’agissait de " notre résurrection[5].

Du côté adverse, Alejandro Guillier, a été obligé de faire des gestes vers les électeurs du « Frente Amplio», et à se montrer résolument de gauche. C’est dans cet esprit que dans un des actes de clôture de la campagne, il a promis de “faire les poches de ceux qui concentrent les revenus pour qu’ils aident la patrie” (reprenant d’une façon caricaturale les propositions de redistribution du « Frente Amplio »), mais l’inclusion à la fin de son discours de la phrase “Hasta la victoria siempre” du «Che» Guevara a été l’élément qui a généré l’alarme. La phrase du modéré Guillier, sur une possible expropriation des hommes d’affaires et la référence au « Che » confirmait les craintes de la droite, et n’a pas aidé à rassurer les électeurs du centre.

Troisième moment : le jour du ballotage

Le 17 décembre, le résultat a été catégorique. Sebastián Piñera a gagné l’élection, non seulement avec la majeure quantité de votes dans une élection présidentielle depuis le retour de la démocratie en 1990, mais il a aussi réussi à mobiliser environ 400 000 nouveaux électeurs par rapport aux chiffres de participation du premier tour. Si, après le premier tour, l’analyse allait vers une possible victoire de la gauche avec les reports de voix, le triomphe de Piñera au deuxième tour semble être au contraire la réaction d’un pays peureux face aux changements radicaux.

Nous sommes nombreux à croire que cette campagne de la terreur, installée pendant la campagne du ballotage a joué un rôle dans le résultat tout comme le triomphalisme précoce de la gauche. Il ne faut pas oublier que l’électorat reste minoritaire par rapport à la population, avec 53% d’abstention. Toutefois, malgré sa victoire aux élections présidentielles, le nouveau gouvernement n’a pas obtenu de majorité parlementaire et pour la première fois depuis le retour de la démocratie, à l’inverse, la gauche aura un groupe parlementaire pour faire opposition.

 

Manuel Suzarte est doctorant en histoire au CREDA - Université Paris 3



[1] La Tercera, « Erika Olivera compara proyecto Guillier con Venezuela », 21 novembre 2017, [http://www.latercera.com/noticia/erika-olivera-compara-proyecto-guillier...

[2] Voir « Non, l'Amérique latine n'est pas un épouvantail politique ! », 20 avril 2017 [https://www.politis.fr/articles/2017/04/non-lamerique-latine-nest-pas-un...

[3] El Desconcierto, « Pinera, si yo fuera presidente: Chile no será Venezuela aunque gane Alejandro Guillier », 4 décembre 2017 [http://www.concierto.cl/2017/12/pinera-siyofuerapresidente-chile-no-sera-venezuela-aunque-gane-alejandro-guillier/]

[4] ADN Radio, « Piñera: "En primera vuelta, muchos votos estaban marcados por Guillier o Sánchez" », 4 décembre 2017, [http://www.adnradio.cl/noticias/politica/pinera-en-primera-vuelta%C2%A0m...

[5] Jean-Luc Mélenchon Facebook officiel, 20 novembre 2017

 

 

 

 


©  IHEAL-CREDA 2018 - Publié le 26 janvier 2018 - La Lettre de l'IHEAL-CREDA, n° 14, février 2018.