Institut des Hautes Etudes de l'Amérique latine
Centre de recherche et de documentation sur les Amériques

La République Dominicaine 2020-2021 – Un nouveau départ

Christian Girault

 

La République Dominicaine 2020-2021 – Un nouveau départ

 

Christian Girault

Directeur de recherche émérite au CNRS

 

La transition démocratique a connu en République Dominicaine une histoire tourmentée. Soixante ans après l’assassinat du dictateur Trujillo (1961), cinquante-six ans après la deuxième Intervention nord-américaine (1965), après des années de régimes autoritaires et d’élections manipulées, le pays se retrouve au seuil d’une période nouvelle avec une alternance politique en 2020 qui survient dans les conditions difficiles que l’on sait (crise sanitaire et récession économique de 9 % en 2020). Il a paru utile de signaler cet événement majeur pour ce pays des Caraïbes assez méconnu et de souligner son importance dans la longue durée des transitions latino-américaines.

 

En effet les élections tenues en Dominicaine en 2020 – élections municipales d’abord en mars, puis élections générales en juillet – ont peu retenu l’attention à l’étranger : un nombre limité de reportages, peu d’analyses et de commentaires en Amérique Latine, aux États-Unis et en Europe. Il est vrai que l’attention des observateurs était alors concentrée sur l’évolution de la pandémie de la Covid-19. Nous relevons seulement deux brefs commentaires dans les bilans de l’année politique : celui d’Olivier Dabène dans « Amérique Latine – L’Année politique 2020 » de l’OPALC – Sciences Poet la chronique du « Bilan du Monde Édition 2021 » (Le Monde), sous la plume d’Angeline Montoya (page 129).


 

Le rejet des gouvernements du PLD liés à la corruption

 

Pourtant les victoires de Luis Abinader et de son parti, le Parti Révolutionnaire Moderne (PRM), ont suscité beaucoup d’intérêt et même d’enthousiasme à Saint-Domingue. Le résultat sans appel de l’élection du 5 juillet assurait la présidence au ticket Luis Abinader – Raquel Peña (52,5 % des voix au premier tour) qui distançait nettement le candidat du PLD, le parti au pouvoir, Gustavo Castillo (37,5 % des voix) et reléguait très loin l’ancien président Leonel Fernández (8,9 % des voix), qui recherchait un quatrième mandat – il avait déjà effectué trois mandats de quatre ans dans le passé -. La participation électorale de 53 % seulement était décevante mais beaucoup d’électeurs potentiels n’avaient pas pu se rendre aux urnes en raison des risques sanitaires. Les Dominicains résidant à l’étranger, eux, avaient voté en masse et pour le changement représenté par Luis Abinader et le PRM. Cette victoire était d’autant plus notable qu’elle était accompagnée le même jour de l’obtention d’une majorité substantielle à la Chambre des Députés et au Sénat et qu’elle confirmait le résultat des élections municipales de mars (voir plus loin).

 

Ce tournant politique correspond à un rejet clair de la politique menée pendant plus de vingt ans par les gouvernements du Parti de la Libération Dominicaine (PLD) dirigés par les présidents Leonel Fernández (au pouvoir de 1996 à 2000 puis de 2004 à 2012) et Danilo Medina (2012-2020). Nous notons que ces quatre mandats successifs avaient été interrompus par une parenthèse  de 2000 à 2004 où le pouvoir a été occupé par le président Hipólito Mejía du Parti Révolutionnaire Dominicain (PRD), un mandat assez négatif d’ailleurs, car marqué, entre autres difficultés, par une crise financière majeure en 2003. 

 

Des signes avant-coureurs du changement étaient apparus depuis quelque temps. En effet la révélation courageuse de nombreux scandales de corruption récurrents depuis des années avait entraîné des protestations dans les médias électroniques indépendants ; puis avaient été organisées de grandes manifestations (la Marcha Verde) qui avaient réuni en 2017 et en 2018 des centaines de milliers de participants à Santo Domingo et dans les grandes villes. Il faut dire que le scandale de la compagnie brésilienne Odebrecht, construisant à tour de bras autoroutes, bâtiments officiels, ainsi qu’une centrale électrique thermique, correspondait au versement de pots-de-vins énormes. Les enquêtes diligentées au Brésil et aux États-Unis avaient montré qu’en République Dominicaine, où Odebrecht avait ses bureaux régionaux, le total des versements illégaux atteignait 92 millions de dollars, le montant le plus élevé de toute l’Amérique Latine.

 

Or la justice n’avait pratiquement rien fait : seulement quelques poursuites conduisant à des non-lieux. L’incompétence et la partialité des organismes d’État et des institutions complices des abus (Cour des Comptes, Cour Suprême, Tribunal constitutionnel…) étaient devenues tellement patentes que les citoyens conscients et les associations de la société civile étaient révoltés. Au début de 2020 les élections municipales, initialement prévues le 16 février, avaient dû être repoussés en raison de défaillances informatiques graves. L’opinion publique, suspectant des fraudes, avait mis ces défaillances techniques sur le compte de l’organisme chargé des élections (la Junta Central Electoral). C’était la goutte qui faisait déborder le vase et jetait à nouveau des milliers de manifestants dans les rues, en particulier parmi la jeunesse. Le 15 mars l’opposition, emmenée par le PRM, avait gagné haut la main ces élections locales et remporté les postes de maires des plus grandes villes du pays.

 

Une alternance politique porteuse d’espoir

 

C’est dans les domaines de la justice, des libertés et de l’administration publique que l’attente de changement est la plus grande. L’opinion publique veut que l’on mette fin aux scandales et souhaite la fin de l’impunité. Les premières enquêtes de la Procureure Générale, la juge Miriam Germán, sur la base des nombreux dossiers instruits par la Procuraduría Especializada de Persecución Administrativa (PEPCA) ont mis à jour de vastes réseaux de corruption et de népotisme, établis depuis des années qui touchaient des ministères, des administrations locales et les Forces Armées. Des membres de la famille proche de l’ancien président Medina ont été inculpés. On s’attend à ce que d’autres enquêtes dévoilent d’autres crimes et délits commis pendant les anciennes administrations. En matière de délinquance et de criminalité commune également, les Dominicains souhaitent que les taux d’élucidation des crimes, notoirement bas aujourd’hui, soient améliorés. Les écuries de l’Armée et de la Police ont besoin d’être nettoyées car ces corps, bien dotés mais fort corrompus, participent depuis des années aux trafics de stupéfiants et sont souvent responsables d’exécutions extra-judiciaires.

 

En quelques mois le président Luis Abinader, un homme d’affaires originaire de Santiago de los Caballeros, a montré ses capacités de dirigeant et su établir son autorité. Il a nommé dans son gouvernement des personnalités respectées, des politiques mais aussi des techniciens et des universitaires. Il a mis des généraux à la retraite. Concernant la politique étrangère les postes stratégiques d’ambassadeurs à Madrid et à Bruxelles ont fait l’objet de nominations d’intellectuels et diplomates reconnus et l’objectif du nouveau chancelier Roberto Álvarez, un avocat, défenseur des droits humains, est de professionnaliser la carrière diplomatique, soumise de longue date au système clientéliste.

 


Note - GIRAULT C. Séjour de recherche en République Dominicaine 2020

Christian Girault CREDA-IHEAL UMR 7227 “Amériques”

 

Christian Girault, directeur de recherche émérite au CNRS, a effectué un séjour de recherche en République Dominicaine entre octobre et décembre 2020. Il a été accueilli comme chercheur invité à la Facultad Latino Americana de Ciencias Sociales (FLACSO – Programa República Dominicana) à Santo Domingo. Le 11 novembre il a prononcé une conférence sur « La place de l’Union Européenne sur la scène internationale dans le contexte du Brexit », avec comme modérateurs Iván Ogando Lara, économiste et directeur du Programme de la FLACSO et Eddy Tejeda, juriste et chercheur).

 

Il a poursuivi ses travaux entrepris en 2019 sur les transformations territoriales de l’espace insulaire, avec les phénomènes massifs de « métropolisation » des capitales et des grandes villes, de migrations internes et internationales et de « mise en tourisme » de l’ensemble des littoraux. La diffusion de la pandémie de la Covid-19, qui a affecté les pays de la Région des Caraïbes en 2020, a constitué évidemment un élément conjoncturel majeur, avec un fort impact, surtout pour des économies tournées vers le tourisme balnéaire. Mais l’alternance politique à l’été 2020, concrétisée par l’arrivée au pouvoir du président Luis Abinader, avec une forte majorité parlementaire et à la tête d’une équipe nouvelle, a représenté également un fait de grande importance, qui laisse penser que la République Dominicaine, longtemps enfermée dans des formes politiques autoritaires, pourrait prendre un nouveau départ, en renonçant aux méthodes traditionnelles de corruption, de mépris des institutions et des droits humains.

Seminario "República de Haití - República Dominicana: Nuevas Observaciones desde la Geografía, Población, Organización Regional y Metropolización".

 


© IHEAL-CREDA 2021 - Publié le 31 mars 2021 - La Lettre de l'IHEAL-CREDA n°52, avril 2021.