Institut des Hautes Etudes de l'Amérique latine
Centre de recherche et de documentation sur les Amériques

Nomade d’un meilleur monde

Benoît Hervieu-Léger

 

Nomade d’un meilleur monde

 

 

Benoît Hervieu-Léger,

Journaliste à la Revue Projet et enseignant vacataire à l’IHEAL

 

Xavier Ricard Lanata vient de nous quitter. « Nous », c’est-à-dire toutes celles et ceux qu’il a su fédérer ou inspirer par son combat sans relâche pour une autre mondialisation. « Il faut imaginer Sisyphe heureux », disait-il en citant Camus. L’épreuve de la maladie ne l’en a pas dissuadé.

 

La vision du monde de Xavier s’est forgée dans une double culture, française et péruvienne. Très sensible aux inégalités, il conçoit sa formation puis son métier d’ethnologue comme une passerelle vers cet autre Pérou des hautes terres andines, que la classe aisée de Lima dont il est issu ne regarde guère. Sa connaissance des sociétés locales le place au premier rang des promoteurs d’un nouveau modèle économique, conjuguant écologie et justice sociale.

 

Homme de terrain, en particulier au sein du Comité catholique contre la faim et pour le développement (dont il fut directeur des partenariats internationaux durant six ans), autant que d’influence – énarque, il a été conseiller à la Direction du trésor et à l’AFD – Xavier n’a jamais cessé d’articuler ces engagements à son investissement intellectuel. Directeur de recherches au CNRS depuis cette année, il s’est révélé tour à tour poète avec son récit Blanche est la Terre (Le Seuil, 2017) et philosophe avec Demain la planète (PUF, 2021).

 

Sa Tropicalisation du monde (PUF, 2019) restera parmi les plus percutants avertissements adressés à nos sociétés occidentales. Combien de temps tiendront-elles sur ce socle de surconsommation et d’appétit de marché ? Se croient-elles à l’abri des paradigmes coloniaux dont le Sud n’a pas fini de souffrir ? Des ressources épuisées, des inégalités croissantes et des démocraties libérales tourmentées soulignent la tendance contraire. C’est contre elle que Xavier plaidait pour une mondialisation ajustée à la viabilité et à l’autonomie des territoires.

 

Cette pensée résolument tournée vers l’action, Xavier n’a cessé de la partager et de la transmettre. Il s’y est en particulier employé au sein de la Revue Projet dont il fut un fidèle compagnon de route pendant plus de dix ans. Dans notre récent dossier « Ce que l’écologie fait à la politique » (édition de juillet-août 2021), il avait signé une contribution éclairante sur les relations tumultueuses entre le mouvement écologiste et le pouvoir d’État en France.

 

Que Xavier soit donc remercié, pour son parcours qui nous invite au nomadisme, d’une discipline à l’autre, d’une culture à l’autre, et d’une communauté de savoirs à une communauté de valeurs.


© IHEAL-CREDA 2021 - Publié le 8 septembre 2021 - L'Éditorial de l'IHEAL-CREDA n°1, septembre 2021.