Institut des Hautes Etudes de l'Amérique latine
Centre de recherche et de documentation sur les Amériques

La Lettre de l'IHEAL-CREDA : Édito

Tijuana, Mexique, 2010.
© Marko Tocilovac

 

Mexique/Etats-Unis : la frontière de Trump

Par Marko Tocilovac, chercheur post-doctorant au CREDA

Le 16 juin 2015, Donald J. Trump annonçait sa candidature aux primaires du Parti républicain dans un discours préfigurant une campagne présidentielle outrageuse. Multipliant les provocations, il évoque le cas de l’immigration mexicaine, avec la finesse qu’on lui connaît désormais :

« Lorsque le Mexique nous envoie ses citoyens, il ne nous envoie pas les meilleurs. (…) Il envoie ceux qui ont plein de problèmes, et ils amènent leurs problèmes chez nous. Ils amènent des drogues. Ils amènent du crime. Ce sont des violeurs. (…) Je vais construire un très grand mur à notre frontière sud. Et je vais faire en sorte que le Mexique paie pour ce mur. »[1]

Si cette déclaration, répétée tout au long de la campagne, souleva une vague d’indignation aux Etats-Unis et dans le monde, elle suscita également l’enthousiasme de ses partisans, comme en témoigne le slogan « Build the wall ! » repris en chœur à chacun des meetings du candidat. Le 25 janvier 2017, cinq jours à peine après son entrée en fonction, Donald J. Trump signait un décret présidentiel[2] dans lequel il ordonnait, entre autres, la construction immédiate d’un « mur » frontalier.

Qu’importe que ce « mur » existe déjà sur près d’un tiers des 3200 kilomètres de frontière terrestre entre les deux pays, ou que les modalités d’un tel aménagement ne soient pas précisées dans l’ordre exécutif. Qu’importe également que les flux migratoires en provenance du Mexique soient au plus bas depuis quinze ans, et que le solde migratoire soit négatif sur ces cinq dernières années. Qu’importe enfin que pendant les deux mandats de Barack H. Obama, un record absolu en matière d’expulsion d’étrangers sans papiers ait été atteint. L’efficacité des discours et des actions du nouveau président américain réside avant tout dans la mise en scène de la frontière et dans la réactivation de sa puissance symbolique. Donald J. Trump ne peut être plus explicite lorsque, dans son discours accompagnant la signature du décret présidentiel, il déclare : « une nation sans frontières n’est pas une nation. A partir d’aujourd’hui, les Etats-Unis d’Amérique reprennent le contrôle de leurs frontières ! Les Etats-Unis retrouvent leurs frontières ! »[3].

Bien que d’une virulence inédite, ces propos et les actions qui les accompagnent s’inscrivent pleinement dans la continuité des discours et des politiques d’aménagement frontalier des Etats-Unis. Depuis le début des années 90, une multiplication d’initiatives ont amené à un renforcement considérable du dispositif frontalier. Présentées comme des réponses à la porosité d’une frontière qui laisserait transiter illégalement drogues, armes, migrants et terroristes dans des proportions considérables, elles sont le fruit d’une surenchère politique constante basée sur la déclamation d’une nécessaire « reprise de contrôle » de la frontière[4]. Bien que cette dernière n’ait jamais été « sous contrôle » et que les activités illégales lui soient consubstantielles, Républicains et Démocrates n’ont cessé depuis 25 ans d’agiter le chiffon rouge d’une nation en proie aux menaces émanant du sud de la frontière.

Les ruptures des politiques frontalières de l’administration Trump sont plutôt à chercher du côté des relations économiques et diplomatiques avec son voisin mexicain. Pilier de sa politique protectionniste, la remise en cause de l’accord de libre-échange nord-américain[5] laisse présager des changements profonds dans les économies des deux pays. Ses déclarations racistes et incendiaires à l’encontre des Mexicains, auxquelles il faut ajouter sa promesse de faire payer le « mur » frontalier au Mexique, ont quant à elles déclenché une crise diplomatique sans précédent entre les deux administrations. Les provocations répétées du président Trump ont été vécues, au Mexique, comme une humiliation publique. Si l’actuel président mexicain Enrique Peña Nieto a annulé sa visite à Washington prévue fin janvier, d’autres réactions ont été plus virulentes, à l’image de celle de son prédécesseur, Vicente Fox Quesada, qui twittait au lendemain de la publication du décret : « Donald, Mexico has spoken, we will never ever pay for that #FuckingWall !»[6]. S’il ne s’agit pas d’un phénomène nouveau, la réactivation particulièrement intense de la dimension spectaculaire de la frontière augure ainsi d’une nouvelle ère d’instabilité, pour le Mexique, pour les Etats-Unis et pour les Mexicains des deux pays.

 


[1] Discours de Donald J. Trump le 16 juin 2015 à New York. Traduction personnelle.

[2] Executive Order : Border Security and Immigration Enforcement Improvements. 25 janvier 2017.

[3] Discours de Donald J. Trump, Department of Homeland Security, 25 janvier 2017. Traduction personnelle.

[4] Andreas, P. (2000). Border Games: Policing the US-Mexico Divide. Ithaca ; London : Cornell University Press.

[5] Connu par les sigles ALENA en français, NAFTA en anglais et TLCAN en espagnol.

[6] Compte Twitter officiel de Vicente Fox Quesada @VicenteFoxQue, 26 janvier 2017.

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