Marie-Laure Geoffray nommée membre de l'Institut universitaire de France

Marie-Laure Geoffray nommée membre de l'Institut universitaire de France

Marie-Laure Geoffray, maîtresse de conférences en sciences politiques à l'IHEAL et directrice adjointe du CREDA - UMR 7227, a été nommée membre de l'Institut Universitaire de France à compter de la rentrée universitaire de 2017 et pour une période de cinq ans durant laquelle il s’agira de mettre en œuvre son projet de recherche dont voici la présentation.

Circulation des normes démocratiques en contexte autoritaire

Les révolutions dites « de couleur » des années 2000 en Géorgie, Ukraine ou Kirghizstan et les printemps arabes de 2011 ont entraîné un regain d’intérêt pour les processus de démocratisation de régimes autoritaires dans la communauté universitaire. Déjà abondante depuis l’œuvre séminale de Guillermo O’Donnell, Philip Schmitter et Laurence Whitehead (1986), la littérature sur cette question est devenue pléthorique. En même temps, elle est devenue aussi relativement normative en cherchant, soit à modéliser les trajectoires de démocratisation, soit en s’interrogeant avant tout sur l’efficacité ou l’absence d’efficacité des politiques de promotion de la démocratie et des droits humains.

L’objectif de ce projet de recherche sera de contribuer à construire une perspective plus sociologique des processus de démocratisation, en nous intéressant aux dynamiques de circulation des normes démocratiques. En effet, s’il existe désormais un consensus sur l’impossibilité d’imposer ou d’exporter, en bloc, la démocratie, relativement rares sont les travaux qui cherchent à restituer le fonctionnement concret de l’ingénierie démocratique, à la fois dans la construction  des politiques de promotion de la démocratie en tant que monde professionnel, et dans leur mise en œuvre en contexte autoritaire. Pourtant, une telle approche devrait permettre à la fois de saisir comment les normes démocratiques se construisent et évoluent sur le long terme, en lien avec les trajectoires des experts transnationaux du champ professionnel de la démocratisation (axe 1), comment ces normes véhiculées par les experts prescripteurs sont appropriées mais aussi négociées et/ou contestées par les récepteurs (axe 2) et quels effets complexes ces dynamiques peuvent avoir sur les modes d’exercice du pouvoir, sans qu’il y ait nécessairement démocratisation (axe 3).

Pour mener à bien ce programme de recherche, nous avons choisi d’étudier ces circulations de normes dans leurs dynamiques triangulaires entre les Etats-Unis, les anciens pays communistes d’Europe de l’Est et Cuba. En effet, d’une part, ces dynamiques sont particulièrement stimulantes à analyser car elles témoignent de l’entrée dans le monde de l’expertise démocratique d’acteurs de pays ayant fait l’objet de politiques de promotion de la démocratie dans les années 1990 et qui deviennent, dans les années 2000, à leur tour prescripteurs de normes, dans une logique de re-circulation vers de nouveaux bénéficiaires. D’autre part, ces nouveaux experts se retrouvent désormais dans des relations de coopération mais aussi de concurrence avec les experts américains présents dans les régimes autoritaires qui perdurent. C’est particulièrement le cas à Cuba, où experts est-européens sont très mobilisés, tout comme les experts américains.

Les circulations triangulaires entre les Etats-Unis, l’Europe de l’Est et Cuba constituent donc un objet pertinent pour étudier à la fois les transformations du réseau d’experts transnationaux de la démocratisation, les évolutions à l’œuvre dans la construction des normes démocratiques, les relations de coopération et de concurrence entre les experts, ainsi que les logiques locales d’appropriation et de rejet des normes démocratiques promues par des prescripteurs aux stratégies divergentes et enfin le travail d’ajustement des modes autoritaires d’exercice du pouvoir face au paradigme de la démocratisation.

 

 

©  IHEAL-CREDA 2017 - Publié le 30 mai  2017 - La Lettre de l'IHEAL-CREDA, n° 6, juin 2017.