Institut des Hautes Etudes de l'Amérique latine
Centre de recherche et de documentation sur les Amériques

L'Amérique latine en France

CCFD-Terre Solidaire : 50 ans de coopération avec l’Amérique latine
Par Philippa Andonian

 

Le Comité Catholique contre la Faim et pour le Développement -Terre solidaire (CCFD-Terre Solidaire) est l’une des plus anciennes ONG françaises. Elle est issue d’un courant religieux catholique qui en 1961, à la suite du Concile Vatican II, en pleine époque des colonisations en Afrique, met en place une branche politique de son projet : l’option pour les pauvres à travers la doctrine sociale de l’Eglise. L’ONG commence rapidement à développer des projets dans le monde.

La période des dictatures et des guerres civiles en Amérique latine dans les années 70-80 renforcent les liens entre l’ONG et le continent. En effet l’institution continue à donner de l’argent à des structures locales qui soutiennent notamment les prêtres assassinés sous les dictatures. Aujourd’hui, beaucoup d’acteurs partenaires sont les enfants de cet héritage militantiste post-dictatorial du Cône Sud et des guerres civiles d’Amérique centrale.

Non opérateur de projets, le CCFD-Terre Solidaire finance aujourd’hui des initiatives mises en œuvre par plus de 400 associations partenaires au niveau local avec un budget global de 10 millions d’euros. Les projets sont directement soumis par les partenaires et le CCFD en fait la sélection. La majeure partie  des fonds (80 %) provient de dons individuels or aujourd’hui l’ONG est confronté de plus en plus à la baisse de ceux-ci: « ceux qui donnent sont des personnes âgées qui vont être remplacé par des générations qui n’ont pas la pratique du don, ce qui remet en cause ce fonctionnement pour le long terme », nous confie Emmanuel Cochon, chargé de mission partenaire Amérique latine et Caraïbes et professeur en gestion de projets à l’IHEAL. Le reste est financé essentiellement par l’AFD et l’UE. Environ un quart de ce budget est consacré au continent latino-américain. Le CA vote chaque année une répartition en fonction des continents. La partie pour les missions Méso-Amérique dont se charge Emanuel se voit affectée en moyenne un budget de 450 000 pour financer les  projets soumis par les organisations partenaires. Un suivi des projets est mis en œuvre : 3 à 5 voyages par an sont organisés pour rendre visite aux partenaires et faire un bilan social.  « Nous regardons si les objectifs et les résultats sociaux sont atteints. Nous discutons avec les bénéficiaires du projet  pour voir comment se passe leur relation avec le partenaire, et quelles sont les difficultés liées au contexte. Globalement les résultats sont bons mais nous sommes également aptes à entendre qu’il peut y avoir des difficultés liées au contexte des pays mais aussi dues aux stéréotypes historiques et sociologiques intégrées par la population locale depuis des siècles et qu’il est difficile de changer en l’espace de quelques années. Si vous voulez par exemple aider une association au Guatemala à obtenir la construction d’infrastructures locales, nous sommes conscients que le haut niveau de corruption des organismes en charge des projets va rendre l’opération difficile, voire même ne pas aboutir pleinement ».

Le développement agricole, l’économie solidaire, le droit des femmes, les droits humains, les migrations internationales, la souveraineté alimentaire et le développement rural, sont les principales thématiques de travail pour CCFD-Terre Solidaire en Amérique centrale. « Aujourd’hui la France met de moins en moins d’argent en Amérique latine sauf en Haïti, Cuba et en Colombie car il y a cette vision de dire que les indicateurs ne sont plus dans le rouge donc on aide plus. Sauf que les pays latino-américains sont les plus inégalitaires du monde donc si l’on arrête la solidarité alors les migrations et les tensions sociales réapparaissent, nous essayons donc de lutter contre cette vision ». Pour Emmanuel, le développement rural est le domaine prioritaire car 80 % de la pauvreté est concentrée dans ce milieu, « c’est la mère de toute les pauvretés, celle sur laquelle il faut jouer en priorité car si on n’arrive pas à vivre de l’activité agricole alors arrive l’exode rural dans des pays où souvent la création d’industrie et d’emploi ne suivent pas ». A cela se conjugue des phénomènes migratoires en lien avec le changement climatique ou des migrations internationales. Emmanuel se passionne à travailler avec l’Amérique latine, il a été séduit il y a 20 ans par la société civile latino-américaine très active et politiquement très engagée. « L’ONU reconnait d’ailleurs que sans la société civile en Amérique latine il n’y aurait pas de démocratie. Cela est très intéressant pour l’analyse du rôle des acteurs sociaux dans la démocratie, un point de vue qui n’est pas celui que nous avons l’habitude d’entendre en Europe car nous avons une vision institutionnelle de la démocratie. Pour comprendre ce qui se passe de l’autre côté de l’Atlantique, il faut un regard sociologique, il faut mettre en perspective une mosaïque de tissu social extraordinaire et des expériences historiques dont nous n’entendons jamais parler, le Zapatisme par exemple dans le sud du Mexique depuis 1994, la chose la plus extraordinaire du XX siècle. A ce niveau on a des partenaires qui nous bousculent sur nos représentations du monde, du fonctionnement des sociétés, nos façons d’être en collectivité, nos certitudes ».

En parallèle, l’institution s’engage dans l’éducation à la citoyenneté et à la solidarité internationale en témoignant en France de ce qui se passe dans les pays partenaires. Cette sensibilisation se fait notamment grâce à un réseau de 10 000 à 15 000 bénévoles, selon les actions, répartis dans tout le pays. Elle se fait également à travers l’intervention dans des événements clés. C’est ainsi qu’à la fin janvier, Emmanuel Cochon intervenait lors du festival international du film des droits de l’homme dans deux régions françaises afin de lancer le débat, commenter et mettre en perspective les projections de film qui illustraient des problématiques sociales présentes en Amérique latine.

Enfin, le troisième axe de travail de l’ONG se focalise sur le plaidoyer qui est monté en puissance depuis la moitié des années 2000. Il s’agit de jouer sur les espaces de décision  et sur les influenceurs  en France et en Europe. Le plaidoyer se fait ainsi principalement auprès de l’Union Européenne, la FAO, le gouvernement français, et d’autres agences de l’ONU. Un des exemples récents de cette initiative a été mené dans le cadre de la loi proposant de revoir la responsabilité des entreprises en cas des violations des droits humains (loi dite devoir de vigilance des multinationales), un phénomène qui touche majoritairement les pays latino-américains, une loi que le Conseil Constitutionnel a déclaré en partie anticonstitutionnel censurant les amendes prévues contre les entreprises pour ces pratiques. Le CCFD a appuyé dans ce projet de loi l’importance de reconnaître et punir les actes destructeurs des entreprises au niveau social et environnemental. « Le plaidoyer est un travail assez frustrant car de multiples facteurs entrent en jeu. Il faut donc tout d’abord une expertise et une maîtrise parfaite de son sujet, une mobilisation et une mise en œuvre de lobbying. Et même avec tous ces instruments nous ne sommes jamais sûrs du dénouement ».

Dans le cours de gestion de projet qu’Emmanuel donne à l’IHEAL, c’est tout ce savoir et cette expérience qu’il essaye de transmettre. « Cet enseignement c’est le lieu où converge une multitude de matière pour comprendre les dynamiques humaines et mettre en place des stratégies, des schémas d’activité avec des acteurs locaux. On part d’une situation sociale qui est problématique, celle-ci  est l’objet du diagnostic dans le projet que l’on identifie grâce à une confrontation de proposition et d’analyses de différents acteurs en privilégiant les locaux car ceux sont eux au final qui connaissent le mieux leur société ».  

 


©  IHEAL-CREDA 2017 - Publié le 30 mai  2017 - La Lettre de l'IHEAL-CREDA, n° 6, juin 2017.