Institut des Hautes Etudes de l'Amérique latine
Centre de recherche et de documentation sur les Amériques

L'Amérique latine en France

Anielle Franco au Sommet mondial des défenseur.e.s des droits humains

Par Marion Imbert

 

Le Sommet mondial des défenseur.e.s des droits humains a eu lieu les 29, 30 et 31 octobre 2018 à Paris, peu de temps après l’élection de Jair Bolsonaro... Anielle Franco, soeur cadette de Marielle Franco, était invitée à y participer. Née dans une des favelas les plus dangereuses de la ville de Rio de Janeiro, Complexo da Maré, Marielle Franco était conseillère municipale et militait pour les droits des afrodescendants, des femmes et des personnes LGBTI. Le 14 mars 2018, alors qu'elle revenait d'une réunion avec d'autres militantes afrodescendantes, elle et son chauffeur, Anderson Pedro Gomes, furent assassinés par plusieurs balles. 

Le mardi 30 octobre, à l'occasion de l'évènement public "Nous sommes tous des défenseurs des droits humains !", Anielle Franco a répondu à nos questions.

 

 

Qui était votre soeur, comment la décririez-vous ?

Marielle travaillait à la Commission des droits humains depuis deux ans. Nous sommes nées dans une favela, une des plus dangereuses de Rio de Janeiro. Nous avions une vie précaire. En tant que femme noire issue d'une favela, Marielle sentait qu’elle avait un rôle à jouer. Nos parents nous parlaient toujours de l’importance de l’éducation ; pour eux, la seule façon de quitter cet environnement, c’est d’étudier. Marielle tombe enceinte assez jeune, elle devient maman à 19 ans. Cette même année, une amie à elle perd la vie à cause d’une balle perdue lors d’un affrontement entre la police et des trafiquants. C’est alors que débute sa lutte contre les abus policiers. Marielle décide de changer la vie des habitants des favelas et devient une figure politique très populaire.

En tant que figure sociale importante, ma soeur était très mal vue par les classes moyennes et aisées au Brésil car elle était associée à la défense de délinquants. Depuis le 14 mars, j’ai envie de continuer à lutter pour les droits humains en son nom et de me présenter aux élections de 2020 ; mais je suis mère d'une petite fille de 2 ans et maintenant de ma nièce, ce qui me fait douter sur ma capacité à être sur tous les fronts.

La mort de Marielle est très discutée, surtout à la lumière des faits...

Pourquoi est-elle morte ? On me demande souvent pourquoi est-il si important de savoir qui a tué Marielle. “Il y a des assassinats au Brésil tous les jours”, disent-ils. Mais Marielle était non seulement une femme politique, mais aussi une femme noire lesbienne, qui a obtenu 46 000 voix lors du Conseil municipal de 2016. Elle faisait peur. Elle intimidait. Elle avait en elle une force redoutable et un profonde envie de changer les choses.

Je pense qu’elle a été lâchement assassinée pour son travail acharné et dévoué à la cause des droits humains. La question des responsables de son meurtre reste très polémique, surtout que les caméras avaient été éteintes quelques heures avant l’assassinat et que les balles retrouvées provenaient d’un lot vendu à la police fédérale en 2006, selon la chaîne de TV Globo. Actuellement, il y a trois enquêtes qui sont menées en même temps. Nous avons très peu d’informations, elles viennent principalement de la presse. Depuis l’élection, on parle de fédéraliser l'enquête. C’est à dire de la passer au niveau central et non local. Serait-ce une manière de taire l’assassinat de ma soeur ? De la faire tomber dans l’oubli ?

Tant que j’aurais des forces, qu’on me laissera parler, je ferais tout pour découvrir son meurtrier.

Quelles sont les stratégies pour continuer à maintenir des liens entre France et Brésil d’un point de vue des ONG, organisations et institutions internationales ? Comment développer plus ces réseaux ?

Je ne sais pas vraiment ce qu’on peut faire, mais je peux vous dire que j’ai très peur. Des attaques visant les femmes et les personnes LGBTI ont lieu tous les jours et sont des actes intimidants d'une extrême violence. Mais il faut garder son sang froid et garder la tête haute. Nous devons manifester tous ensemble, main dans la main. Il faudra se serrer les coudes. Soyons optimistes. Dans un premier temps nous allons attendre de voir ce que fait Bolsonaro. Mais j’ai bien peur que le Brésil retombe dans la dictature, la censure et la montée de la violence avec cet homme au pouvoir.

Comment faire face au fascisme de Bolsonaro ? Comment va évoluer le Brésil avec le nouveau président Jair Bolsonaro, dans un climat politique basé sur la haine, les discriminations de genre et raciales ? Quelles seraient les conséquences sur les droits humains ?

Ce sont de bonnes questions. J’espère de tout coeur que le système politique fera obstacle aux idées fascistes et racistes de Bolsonaro. Cependant rien n’est moins sûr.

Mais place aux bonnes nouvelles ! On a créé l’ONG Marielle Franco au Brésil. Il y a aussi un documentaire en cours de réalisation sur sa vie et je suis actuellement en train d’écrire un livre pour aider les jeunes femmes afrodescendantes des favelas, un sujet qui lui tenait à coeur.

Il faudra croire en l’éducation des enfants, des femmes, surtout des milieux modestes, reconnaître leurs droits et tout mettre en place pour avoir un réel impact sur ces problématiques.

 

Pour plus d'informations : https://hrdworldsummit.org/home/?lang=fr


©  IHEAL-CREDA 2018 - Publié le 30 novembre 2018 - La Lettre de l'IHEAL-CREDA n° 24, décembre 2018.