Institut des Hautes Etudes de l'Amérique latine
Centre de recherche et de documentation sur les Amériques

Damián Gallardo Martínez, défenseur des droits humains, en visite à Paris

 

Damián Gallardo Martínez, défenseur des droits humains, en visite à Paris

Par Marion Imbert

 

 

Damián Gallardo Martínez est enseignant Ayuujk originaire de Santa Maria Tlahuitoltepec, Sierra Mixe de Oaxaca (Mexique), et défenseur des droits des peuples autochtones et du droit à l’éducation. Il a été arrêté et détenu arbitrairement pendant cinq ans et sept mois sous la présidence d’Enrique Peña Nieto (2012-2018) pour s’être opposé aux réformes structurelles du système éducatif dans le cadre du mouvement du Magistère. Libéré en décembre 2018, il est actuellement en Europe pour présenter son parcours auprès d’instances internationales et exiger son droit à réparation ainsi que la mise en place de mesures pour lutter contre la criminalisation des défenseurs à Oaxaca.     Nous sommes allées à sa rencontre.

 

Damián, quel est votre parcours ? Parlez-nous de vous.

D. : Je suis né dans l’État de Oaxaca au Mexique, où je suis professeur dans une école. Le village autochtone où je vis fait partie des 16 villages occupant la plus grande partie du territoire de l’État de Oaxaca. S’il existe 572 municipalités dans l’État de Oaxaca, 410 d’entre elles sont autochtones. Ces villages qui partent de la Sierra norte de l’Est du territoire ont toujours été caractérisés par la non-soumission : durant la conquista espagnole, aucun n’avait été envahi grâce à la résistance militaire qu’opposèrent les habitants. Il y eut cependant des rapprochements de missionnaires catholiques mais les villages autochtones de Oaxaca sont connus comme les jamás conquistados (jamais conquis).

Un autre élément qui caractérise mon village est la musique. Il existe un centre autogéré de musique, le CECAM (Centro de Capacitación Musical y Desarrollo de la Cultura Mixe) qui enseigne la musique traditionnelle de la Sierra et qui est au centre de la vie du village. Étant professeur, je me suis toujours intéressé à l’éducation, et proposer un modèle éducatif nouveau et adapté à la communauté m’a paru naturel. C’est de là qu’est né le projet d’éducation intégrale communautaire qui a donné lieu à la création d’un bachillerato reconnu (équivalent du baccalauréat). L’État mexicain, voyant le succès de ce nouveau modèle éducatif, a ouvert de nombreux bachilleratos integrales comunitarios, mais sans jamais nous en donner les crédits. On a commencé à ressentir un sentiment d’injustice et de non-reconnaissance de la part de l’État.

Vivant dans une zone autochtone et majoritairement agricole, tous les habitants du villages se mobilisent pour leurs droits, qu’ils soient professeurs, ouvriers ou agriculteurs ; qui, eux, prônent la défense de leurs territoires, leurs terres, leur héritage. Je me mobilisais pour le droit à l’éducation, ils se mobilisaient pour leurs droits et leurs terres. Nous avons vite trouvé un terrain commun afin de rassembler nos revendications et d’avoir plus de poids pour être entendus.

 

Comment êtes-vous devenu “politique” ? Quel a été l’élément déclencheur de votre arrestation arbitraire, selon vous ?

D. : Je crois que c’est lorsque nous avons commencé à avoir un réel poids dans la politique municipale et étatique. Nous étions de plus en plus nombreux et nombreuses à défendre nos terres, notre territoire, l’espace éducatif, nos droits en tant que peuples autochtones. Et puis il y a eu la réforme éducative lancée par Peña Nieto en 2013. Elle représentait une atteinte aux droits du travail, notamment en supprimant la cotisation à la retraite pour les professeurs et le personnel académique. Cette réforme visait aussi à libéraliser et privatiser l’éducation. Ca a été un coup dur. Alors nous nous sommes toutes et tous mobilisés pour protester contre cette réforme, nous avons planifié les manifestations et organisé politiquement les professeurs, agriculteurs, paysans, afin d’avoir plus de poids. Je crois que ça a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Quand on commence à avoir des revendications politiques et qu’on parvient à mobiliser des masses, on devient vite une cible.

 

Comment s’est déroulée votre arrestation et comment avez-vous fini en prison alors que vous n’étiez qu’un simple professeur militant pour le droit à l’éducation et des peuples autochtones ?

D. : En plein milieu de la nuit, un groupe armé est arrivé en fracassant la porte et en criant “Où est le délinquant ?”. Ils ont posé leurs armes sur ma tempe et les ont pointé sur ma femme et ma fille. Ils ont retourné la maison pour chercher des armes et n’ayant rien trouvé, ils m’ont embarqué sans même me dire qui ils étaient et pourquoi j’étais arrêté. Je n’avais reçu aucun ordre de présentation, je ne soupçonnais même pas que je pouvais être jugé comme quelqu’un de dangereux pour le fait de manifester pacifiquement pour mes droits et ceux de mes collègues. J'ai disparu pendant trente heures, il était impossible pour ma famille de savoir où j’étais. J’avais les yeux bandés, je mourais de faim et j’étais torturé continuellement. Ce fut une torture non seulement physique mais aussi morale. On voulait me faire taire à jamais.  Mes bourreaux me sommaient de dénoncer mes alliés, celles et ceux qui étaient avec moi et menacèrent de tuer toute ma famille si je ne signais pas un papier. Voilà comment un innocent finit en prison.

 

Comment est-ce possible qu’une telle chose se passe au Mexique en 2013 ?

D. : Le gouvernement du PRI (Partido Revolucionario Institucional  - parti de droite, conservateur, qui était au pouvoir) avait voté une "mesure de prévention", l’autorisation d’arrêter les personnes qui soutenaient la participation aux manifestations. Treize d’entre nous ont donc été arrêtés, chacun avec un profil différent (défenseur, professeur, agriculteur, etc.), mais toujours de manière arbitraire. Les forces policières qui nous ont arrêtés avaient deux objectifs : intimider tout le personnel académique et les professeurs autochtones qui portaient des revendications, mais aussi stigmatiser le mouvement en nous délégitimisant. En effet, les médias ont commencé à diffuser les mensonges que la police racontait, disant que nous étions des criminels. Alors que nous étions jugés comme des dissidents et prisonniers politiques, enfermés dans l’un des centres pénaux les plus renforcés niveau sécurité. Comme si nous étions les pires assassins. Ils nous ont torturé et fait subir des traitement inhumains.

Ce qui m’a sauvé, ce fut d’abord le soutien de ma famille et le changement d’image qu’ils ont réussi à opérer. Mon parcours de professeur et le fait que je ne me revendiquais d’aucun parti politique ont été deux éléments importants dans la reconnaissance de mon innocence. Les médias ont compris peu à peu que j’avais une vraie lutte à mener, celles des droits humains. Ma femme et ma famille m’ont beaucoup aidé moralement et physiquement en organisant des rencontres et des manifestations contre l’enfermement d’innocents jugés dissidents politiques par les autorités publiques. Heureusement, nous étions soutenus par le Consorcio para el diálogo parlamentario y la equidad de género, une organisation qui milite pour la défense des droits humains. C'était la première fois que cette association féministe prenait publiquement la défense d’un homme. Cela a été un vrai tournant pour l’opinion publique.

Aujourd’hui, en plus de défendre les droits des peuples autochtones, je lutte pour les droits des prisonniers, car les prisons au Mexique sont de véritables centres d’extermination de la qualité humaine.

 

Quel est votre rôle de défenseur des droits humains ici en Europe ?

D. : Je suis en Europe pour présenter mon parcours auprès d’instances internationales et pour exiger mon droit à réparation ainsi que la mise en place de mesures pour lutter contre la criminalisation des défenseurs à Oaxaca. Mon rôle de défenseur est de visibiliser notre cause et de sensibiliser à :

- La réparation des dommages subis avant, pendant et après la prison : accompagnement psychologique, reconstruction en tant qu’être humain, politiques de défenses des journalistes et défenseurs, garanties de la non répétition de ces actes, arrestation des bourreaux et toute personne liée à la torture. Pour cela, nous sommes en lien avec le Comité contre la torture (CAT) des Nations Unies, afin d'éradiquer toute forme de torture.

- En finir avec l’arrestation arbitraire de personnes.

- Libérer les innocents jugés dissidents politiques qui sont toujours détenus arbitrairement comme Pablo López Alavez et les 16 professeurs de l’État de Guerrero, connus comme los presos de la Parota.

- Faire un appel mondial aux organisations internationales de droits humains.

 

Quels sont vos autres projets de retour au Mexique ?

D. : Tout d'abord, reprendre les projets éducatifs en lien avec le collectif pour créer une université communautaire en zone autochtone, qui dispenserait une licence en vie communautaire et territoire, ainsi qu’un système de bourse et l’appui institutionnel. Puis, ensuite, créer des plateformes de solidarité pour créer d’autres référents éducatifs, d’autres modèles, basé sur l’autonomie, la communauté et le développement social.

  

 

Pour aller plus loin :

► Le livre Fragmentos de un espejo oculto, un recueil de lettres qu’envoyait Damián Gallardo Martínez à ses proches lorsqu’il était incarcéré.

Frente a impunidad en el país se denuncia ante la ONU a Estado Mexicano por Tortura en el caso de Damián Gallardo Martínez, publié le 16 mai 2019 par Consorcio Oaxaca.

► Un article publié par Front Line Defenders : "Détention arbitraire de Damián Gallardo Martínez"

 

 


© IHEAL-CREDA 2019 - Publié le 12 juillet 2019 - 

La Lettre de l'IHEAL-CREDA n° 31/32/33, juillet/août/septembre 2019.