Edito
Contre la hausse des droits d’inscription des étudiants extra-européens
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Contre la hausse des droits d’inscription des étudiants extra-européens
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Fabien Archambault (Université de Limoges)
Esteban Buch (EHESS)
Olivier Compagnon (Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3, IHEAL)
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L’annonce par le Premier ministre Édouard Philippe, lundi 19 novembre 2018, de droits d’inscription multipliés par 10, 15 ou 16 (de 170 à 2770 euros au niveau de la licence, de 243 euros à 3770 euros au niveau du master, de 380 à 3770 euros au niveau du doctorat) pour les étudiants extra-européens venant suivre un cursus dans une université française est une véritable catastrophe, pour les étudiants et les pays concernés comme pour l’enseignement supérieur et la recherche française dans leur ensemble. Elle en dit très long sur la vision du monde portée par le gouvernement, tout en constituant un pas supplémentaire vers la mise à mort d’un service public dans ce domaine crucial pour le bien commun.
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Créer un régime discriminatoire – car c’est bien de cela qu’il s’agit – à l’encontre des étudiants extra-européens constitue une erreur majeure qui aura des résultats contraires à ceux qui sont recherchés. En dépit de l’annonce de la mise en place d’un système de bourses qui semble particulièrement restrictif si on le rapporte à l’objectif visé des 500 000 étudiants étrangers accueillis chaque année contre 320 000 à l’heure actuelle, on se privera ainsi de la plupart de ceux qui choisissent de venir se former en France, et non ailleurs, parce que les formations y sont de qualité, parce qu’elles sont dispensées dans une langue, le français, qu’ils veulent pratiquer et/ou apprendre, et parce que les sciences et la culture françaises ont déjà nourri des générations de chercheurs et d’enseignants dans le monde entier.
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Sur le fond, l’idée d’une différence de traitement fondée sur le critère de la nationalité est une atteinte aux principes d’égalité et d’universalité, particulièrement malvenue au moment où les idéologies racistes et les nationalismes agressifs inclinent un peu partout dans le monde à la fermeture des frontières et à l’assignation identitaire. Pour cette raison, elle constitue aussi une entorse grave aux valeurs de solidarité, que n’atténue en rien le fait que les ressortissants des pays européens ne soient pas concernés. Au contraire, elle fait le jeu de ceux qui ne pensent l’Europe que sur de seuls critères économiques et/ou qui veulent en faire l’instrument d’une forme supplémentaire de repli identitaire plutôt que d’y voir le pari d’une incarnation historique, certes très fragile et très imparfaite, de l’idéal des Lumières.
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Une telle décision contribuera aussi à détruire des liens de coopération universitaire – et donc de co-développement – mis en place depuis une cinquantaine d’années avec les anciennes possessions coloniales de la France (en Afrique de l’Ouest notamment), mais aussi dans des régions comme l’Amérique latine, berceau du néolibéralisme et des politiques d’ajustement structurel dont les responsables ont toujours regardé les universités avec méfiance. Au mois de janvier 1960, le nouvel ambassadeur de France au Cameroun, dont l’indépendance venait d’être proclamée, s’était adressé dans la cour du lycée de Douala aux élèves de l’établissement, les assurant qu’ils pourraient poursuivre, après le baccalauréat, leurs études en France. « Nous serons toujours ici chez nous, comme vous serez toujours chez vous, en France », concluait-il. Alors que l’ancienne puissance coloniale n’a rien fait, ou si peu – et c’est un euphémisme –, pour permettre à ses anciennes colonies de se développer de manière libre et autonome, renoncer à cette promesse constitue une forfaiture. Quant à l’Amérique latine, la fermeture des portes de l’université française ne pourra réjouir que les soutiens fascistes et fondamentalistes du nouveau président brésilien, ainsi que tous ceux qui depuis des décennies s’opposent à ce que l’université puisse être un foyer de discours critiques et/ou le vecteur d’une forme légitime d’ascension sociale.
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Outre les problèmes éthiques et politiques qu’elle soulève, la décision du gouvernement repose sur une logique économique douteuse. Elle suppose que, puisque l’argent est désormais le critère premier de la mesure du monde et de la société, une bonne formation serait nécessairement une formation onéreuse. Il en découle que construire une image positive de l’enseignement supérieur français à l’étranger passerait logiquement par son renchérissement. Or c’est précisément sur la base de ce mirage qu’une myriade d’écoles de commerce a vu le jour au cours de la dernière décennie, profitant à la fois de la grande sélectivité des classes préparatoires aux grandes écoles et de l’image négative véhiculée par les premiers cycles universitaires, pour attirer des générations d’étudiants dans des formations dont on sait parfaitement qu’elles n’ont de l’excellence que le nom. Par ailleurs, l’argument selon lequel des étudiants étrangers fortunés viendraient étudier presque gratuitement alors qu’eux ou leurs familles n’ont pas contribué à l’impôt national est largement spécieux. Faut-il rappeler que la première recette fiscale de l’État est la taxe sur la valeur ajoutée (145 milliards d’euros en 2017, loin devant l’impôt sur le revenu qui ne pèse que 77 milliards) dont s’acquitte tout étudiant étranger à la moindre baguette achetée dès lors qu’il a posé le pied en France ?Â
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Le gouvernement semble croire que les étudiants étrangers choisissant la France seraient d’abord des pauvres attirés par la quasi-gratuité, tandis que les élites sociales extra-européennes choisiraient mécaniquement l’Angleterre ou les États-Unis. C’est mal connaître la sociologie de cette population étudiante dont une partie provient effectivement de milieux défavorisés ou des classes moyennes, mais au sein de laquelle figurent également des membres des élites qui, eux aussi, font le choix de la France en raison des nombreuses filières d’excellence qu’elle propose et des valeurs d’égalité et d’universalité qu’elle véhicule, notamment au travers d’un système de recherche et d’enseignement supérieur qui reste parmi les plus démocratiques au monde. Or ce sont précisément, au bout du compte, ces valeurs démocratiques que la décision du gouvernement remet en cause. C’est pourquoi il est urgent de réagir avant qu’elle ne soit suivie d’effet.
© IHEAL-CREDA 2018 - Publié le 30 novembre 2018 - La Lettre de l'IHEAL-CREDA n° 24, décembre 2018.