Edito
La relance du programme hydroélectrique en Amazonie
Depuis le programme d'équipement de l'Amazonie brésilienne des années 1970, qui s'était traduit par la construction de plusieurs barrages et usines hydroélectriques dans la décennie suivante – dont l'immense ouvrage de Tucurui –, l’aménagement hydroélectrique amazonien avait connu une longue panne. Il a été nettement relancé depuis les plans d'accélération de la croissance du président Lula (PAC-1, 2007-2010) et de la présidente Dilma Rousseff (PAC-2, 2011-2014). Une vingtaine de nouveaux ouvrages sont aujourd'hui à l’étude ou déjà en cours de réalisation, tels ceux de Santo Antonio et Jirau (Rondônia) barrant le fleuve Madeira, principal affluent de rive droite de l'Amazone, jamais équipé jusqu'à aujourd'hui, ou celui de Belo Monte (Para), de très grande capacité sur le site exceptionnel de la boucle du Xingu.
Les deux premiers sont aujourd'hui en phase finale de construction et commencent à produire. Leur électricité sera transportée par une nouvelle ligne à haute tension jusqu'à São Paulo. Une autre ligne à haute tension reliera, dans quelques mois, Manaus au Système Intégré National (SIN) depuis Tucurui, achevant ainsi de relier électriquement l'Amazonie au reste du Brésil. En effet, jusqu'à ce jour, l'Amazonas, le plus grand des États amazoniens, demeurait encore « isolé » de l'ensemble national et alimenté principalement par des usines thermoélectriques au diesel ou au gaz.
L'enjeu de l'intégration électrique doit également être considéré en relation avec les États amazoniens voisins, cogestionnaires des bassins fluviaux et potentiellement désireux d'un partenariat énergétique sur le modèle binational innovant de l'usine d'Itaipu, la plus grande au monde à ce jour, entre le Brésil et le Paraguay. Un projet avec la Bolivie pourrait ainsi prendre forme prochainement alors qu’une intégration électrique avec le Venezuela existe déjà .
Départ de la ligne à haute tension de Porto Velho - vers São Paulo (2 400 km)
Cette énergie renouvelable est-elle pourtant écologique? On se pose la question au vu des nombreux conflits socio-environnementaux soulevés par la construction des nouvelles centrales. S'il ne fait pas de doute que l'eau est bien une ressource renouvelable (l'Amazonie représente 15% des ressources mondiales en eau douce), les impacts environnementaux des barrages suscitent des oppositions militantes organisées qui ont conduit à de nouveaux arbitrages technico-environnementaux, plus conformes aux exigences actuelles de la société (adoption de la technique de la turbine « fil de l'eau » permettant de réduire la taille des réservoirs). Toutefois la persistance des oppositions peut surprendre au regard des besoins en énergie des populations, de l'exigence de substituer des ressources renouvelables aux ressources fossiles et, enfin, des retombées économiques, sociales et financières de ces projets pour les territoires locaux. Au-delà , ces grands chantiers hydroélectriques, à enjeux régionaux forts, ouvrent la question du choix de la centralisation ou de la décentralisation dans la gestion des réseaux techniques et ravivent le débat sur le fonctionnement et la modernisation du fédéralisme brésilien, notamment au regard des retombées fiscales pour les territoires concernés. Avec des projets d’une telle envergure, le Brésil s’affirme désormais comme un acteur majeur de l’intégration électrique en Amérique du Sud.
Martine Droulers, CREDA
Céline Broggio, Université de Lyon 3
Marcio Cataia, Unicamp (São Paulo)
Juan-Pablo Pallamar, IHEAL-CREDA
Mission CNRS-CREDA, janvier-février 2013
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