Institut des Hautes Etudes de l'Amérique latine
Centre de recherche et de documentation sur les Amériques

Le football en Amérique latine

Fabien Archambault répond aux questions d'Olivier Compagnon à l'occasion de la sortie du Cahier des Amériques Latines n°74 intitulé "L'autre continent du football"

OC – Fabien Archambault, vous avez coordonné la dernière livraison des Cahiers des Amériques latines dont le dossier est intitulé « L’autre continent du football ».  Le foot, spectacle médiatique et passion populaire, est-il un objet légitime en sciences sociales aujourd’hui ?

FA – Il l’est largement devenu. Un indice parmi d’autres en serait que, de nos jours, les chercheurs qui le choisissent comme objet d’étude ne ressentent pas le besoin de se justifier, à la différence de leurs aînés des années 1980 et 1990. Qu’ils soient historiens, sociologues, politistes ou géographes, à l’instar des contributeurs de ce numéro thématique des Cahiers des Amériques latines, tous abordent désormais leur sujet sans crainte du qu’en dira-t-on. Cette évolution se lit d’ailleurs dans la place croissante qu’occupe l’histoire du sport dans le monde académique international.  

OC – Pourquoi avoir intitulé ce dossier des Cahiers des Amériques latines de la sorte ? Le football n’est-il pas une invention anglaise, à la fin du XIXe siècle, et n’est-ce pas l’Europe qui, en ce début du XXIe siècle, représente le véritable centre sportif et économique du football mondial ?

FA – D’un point de vue économique, l’Europe mène effectivement la danse, drainant la majorité des capitaux qui alimentent les structures du football professionnel et attirant ainsi les meilleurs joueurs de la planète. Cette domination financière du Vieux Continent, qui s’exerce depuis le début du XXe siècle, n’a toutefois pas empêché l’Amérique latine de s’approprier le football et d’en faire la pierre de touche d’une culture de masse puissante et partagée par toutes les classes sociales, et ceci de manière précoce, bien avant qu’un tel phénomène ne s’observe dans certaines sociétés européennes. A ce titre, l’Amérique latine a toute légitimité à se considérer comme le premier espace à avoir autant investi symboliquement et socialement ce sport.

OC – On évoque souvent les immenses enjeux économiques que représente la Coupe du monde pour les pays organisateurs. Mais qu’en est-il de la dimension politique ? Le football est-il aussi devenu un outil des relations internationales au cours du XXe siècle ?

FA – D’une manière générale, c’est dans les années 1920 que le sport devient une scène sur laquelle se rehausse ou s’affaiblit le prestige des nations, les athlètes n’étant plus dès lors considérés comme des concurrents individuels mais comme les représentants de leur pays. Le football s’inscrit dans ce mécanisme par le biais des Jeux olympiques d’abord, puis de la Coupe du monde, les pays latino-américains contribuant de manière décisive à ce processus – à l’image de l’Uruguay, médaille d’or aux Jeux de Paris (1924) et d’Amsterdam (1928) et organisateur du premier championnat du monde dont il remporte la finale face à l’Argentine (1930).

-Avant la finale de la Coupe du monde de 1930, à Montevideo, le salut entre les deux capitaines: José Nasazzi pour l'Uruguay et Manuel "Nolo" Ferreira pour l'Argentine-

Par la suite, et jusque dans les années 1960, cette nouvelle compétition ne connaît de réel succès et ne suscite un écho important que dans les sociétés latino-américaines dans lesquelles le football constitue un élément fondamental dans la définition des identités nationales, par opposition à l’Europe.

OC – Vaincu 2 buts à 1 lors du match décisif de la première Coupe du monde qu’il jouait à domicile, en 1950, le Brésil va-t-il s’imposer cette fois-ci ? A moins que l’historien du football que vous êtes ne souhaite pas s’aventurer sur le terrain des pronostics…

FA – Je ne m’y risquerai pas, vous vous en doutiez. Je me bornerai à rappeler que la sélection brésilienne sera très bien préparée pour l’événement, comme elle l’a toujours été, dès lors qu’il s’agissait d’affirmer sa suprématie à l’échelle du continent et du monde. Loin d’être une collection d’artistes romantiques, image forgée en Europe dans l’entre-deux-guerres et devenue un topos du discours médiatique de ce côté-ci de l’Atlantique, l’équipe nationale auriverde fut la première à mettre au point des méthodes d’entraînement scientifiques, rationnelles, pour tout dire professionnelles. Cet investissement était et demeure à la mesure de l’importance sociale, politique et symbolique du football au Brésil. Finalement, peu importe que la seleção gagne ou perde, il y aura de toutes façons bien des choses fort intéressantes à observer et à commenter…

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