Edito
Les élections locales dans un monde globalisé: New York ou le "récit des deux villes"
Au début de janvier 2014, le nouveau maire de New York, Bill de Blasio, a pris ses fonctions et a ainsi succédé à Michael Bloomberg, connu au niveau mondial pour avoir mené, au cours de trois mandats, une stratégie urbaine centrée sur le principe de l’attractivité territoriale et de la sécurité.  A priori cette élection –qui s’est déroulée en novembre 2013-- se qualifie de « locale » et de ce fait ne devrait concerner que les habitants de la ville de New York. Les sciences sociales et l’opinion publique ayant souvent considéré que seules les élections présidentielles présentaient un intérêt pour les observateurs étrangers à la sphère nationale étudiée. Dans un monde « urbain » et « globalisé », ce point de vue s’estompe. Désormais, les élections locales intéressent tous ceux qui se préoccupent de l’avenir des grandes villes du monde et des Amériques en particulier, (New York aux Etats-Unis, Sao Paulo ou Rio au Brésil, Santiago au Chili, Mexico au Mexique, Bogota en Colombie …pour ne citer que quelques-unes) parce qu’elles s’avèrent des acteurs stratégiques pour l’économie globalisée. Elles sont également pertinentes pour l’analyse dans la mesure où elles permettent de révéler la motivation des électeurs locaux face au triomphe du capitalisme globalisé qui a généré de sensibles transformations au niveau du paysage urbain, des activités économiques et culturelles, de l’habiter et parfois des modes de gouvernance. Les villes sont ainsi traversées par des processus de gentrification (renouvellement urbain) au profit de nouvelles classes sociales qualifiées de ‘connectées’ car branchées à des réseaux globaux que certains --à la suite de Richard Florida-- intitulent les « classes créatives » (incluant bien entendu les artistes). Tel est le cas de New York où des quartiers de Midtown à Manhattan et de Brooklyn notamment participent de la dynamique de gentrification attirant souvent des millionnaires et des milliardaires du monde soucieux de bénéficier d’une résidence principale ou secondaire. Harlem, l’ancien ghetto noir n’y échappe pas. Les marchés immobiliers ont en effet bénéficié au cours de ces dernières décennies de politiques municipales limitées aux préoccupations relevant de la rivalité inter-métropolitaine. A New York, ville qualifiée de capitale financière des Etats-Unis et peut-être même du monde globalisé, le candidat démocrate Bill de Blasio a réussi au cours de sa campagne à affirmer qu’il mènerait une politique qui ne se limiterait pas aux 1% et qu’il se préoccuperait notamment des enfants de ménages pauvres en finançant notamment des programmes pré-scolaires. Comment expliquer la réussite d’une campagne dont les fondements peuvent être somme toute qualifiés d’assez audacieux ?
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Un maire démocrate proche de la communauté noire
Les médias américains et français ont dans un premier temps souligné la victoire du parti démocrate sur le parti républicain. Il est vrai qu’à New York comme d’autres villes de la côte est, les élections locales sont partisanes et se traduisent par l’élection d’un candidat pour chacun des deux partis avant l’affrontement entre les deux rivaux. A Los Angeles pour prendre un exemple de la côte Pacifique, la rivalité entre les deux partis n’est pas vraiment convoquée sur la scène municipale, ce qui a priori permet à de nombreux candidats (relevant de différents groupes sociaux, raciaux et ethniques) de se présenter. A New York après trois mandats --de quatre ans chacun-- de Michael Bloomberg (républicain), Bill de Blasio, (démocrate) l’a emporté sur le candidat républicain Joe Lhota avec 73% des votes contre 24% pour son rival. Ce score est impressionnant même s’il faut préciser que seuls 51% des électeurs se sont déplacés pour voter, ce qui représente tout de même 1 million de personnes (sur les 8 millions d’habitants).
La communauté noire de New York a voté à plus de 96% pour Bill de Blasio alors qu’elle n’avait voté qu’à 91% pour le premier (et unique) maire noir de la ville, David N. Dinkins en 1989. Il est vrai que Bill de Blasio d’origine allemande et italienne –dont l’épouse est une militante africaine-américaine-- s’était déjà fait remarqué auprès de la communauté noire alors qu’il était responsable du logement social sous l’administration Dinkins. Au cours de la campagne de l’automne dernier, il s’est rendu à plusieurs reprises dans le quartier de Harlem et y a notamment critiqué la brutalité de la police qui dispose d’un droit de contrôle dans les espaces publics en se basant le plus souvent sur le faciès (stop-and-frisk tactics), une pratique discriminante à l’égard des jeunes Noirs. Il a par ailleurs souvent affirmé qu’en tant que maire de New York, il mènerait une politique fondée sur le principe d’une rupture avec l’ancien Michael Bloomberg, un milliardaire qui au cours des douze dernières années (2001- 2013) s’était donné pour ambition première d’attirer « les riches » et les touristes parce qu’'ils paient des impôts et des taxes. Ces revenus permettant de lancer des programmes d’aménagement urbain et de renouvellement des infrastructures ambitieux. Le nombre de touristes fréquentant New York est passé de 35 millions en 2001 à 52 millions en 2013. Ce qui est considérable. Â
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Le ‘récit de deux villes’ (a tale of two cities) : la thématique centrale de la campagne du maire
New York est une ville assez contrastée. Elle dispose certes d’un imposant budget annuel de l’ordre de 67 millions de dollars mais 1/5 (21,2%) de sa population est qualifiée de pauvre. Le candidat l’a rappelé à plusieurs reprises dans ses discours et n’a pas hésité à emprunter la métaphore du ‘récit de deux villes’ pour évoquer et souligner le poids des inégalités sociales de la ville. Il a également indiqué qu’il serait le maire des 99%, un slogan emprunté au mouvement Occupy Wall Street qui a sévi de nombreux mois à New York comme dans d’autres villes des Etats-Unis. Face à ce constat de la pauvreté et des inégalités sociales, Bill de Blasio a proposé un programme ambitieux.
Il a proposé de faire passer le barème des impôts sur les revenus de 3,9% à 4,4% pour tous les revenus dépassant 500.000 dollars annuels. Il a l’intention d’augmenter le nombre de logements sociaux (affordable housing) dans la ville en contraignant les promoteurs immobiliers de les inscrire dans leurs programmes de construction et de fixer le revenu minimum à 11,75 dollars l’heure. Il est allé jusqu’à remettre en cause les pratiques de la philanthropie qui comme chacun le sait participent à  la gestion des espaces verts et des parcs à New York. Pour Bill de Blasio, toute association disposant d’un budget supérieur à 5 millions de dollars est désormais contrainte de verser 20% de ses revenus à la ville pour assurer la gestion d’autres espaces verts situés dans des quartiers pauvres ne recevant pas l’aide philanthropique. Aussi la gestion de Central Park assurée par une fondation et bénéficiant aux habitants des quartiers aisés à proximité est susceptible d’être remise en cause. Pour de Blasio, opérer une telle redistribution financière permettrait aux quartiers pauvres notamment dans le Bronx de bénéficier de financements pour améliorer l’offre des espaces verts et le quotidien des habitants. Â
Mener une campagne sur la thématique des inégalités sociales, a permis au candidat démocrate d’afficher un profil bien différent du maire sortant plus préoccupé par l’offre d’aménités urbaines (au profit des piétons et au détriment de la voiture) pour attirer touristes et classes créatives. Lors de certains entretiens le candidat démocrate n’avait pas hésité à affirmer qu’il risquait de revoir la piétonisation de Manhattan notamment autour de Times Square
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La métaphore « Occupy City Hall » pour désigner la radicalité du nouveau maire est-elle justifiée ?
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Ce regard rapide sur le nouveau maire de New York permet de noter le recours explicite et systématique à la rhétorique des inégalités sociales dans le cadre des élections locales. Peut-on pour autant en déduire comme l’a écrit le Wall Street Journal, que la campagne électorale a été menée sur un mode de type « Occupy City Hall » relevant d’une certaine forme d’affiliation avec le mouvement « Occupy Wall Street » ? En d’autres termes la vision d’un sérieux antagonisme entre le 1% et les 99% aurait-t-elle eu des répercussions sur les élections à New York ? Est-ce que la mobilisation sociale passée aurait eu pour effet d’engendrer un maire radical ? Difficile de répondre à ces questions en ce début de mandat dans la mesure où des candidats radicaux peuvent en effet agir différemment une fois au pouvoir.
On peut toutefois retenir de l’expérience de New York combien l’opinion publique au niveau local est motivée pour se donner les moyens d’une possible mobilisation face au rayonnement de l’idéologie néo-libérale et susciter de nouvelles perspectives pour l’action politique. Les villes --y compris celles assurant un rôle de commandement dans l’économie globalisée sont susceptibles de revendiquer et de prôner une plus grande justice sociale et spatiale. Après un maire qui à de nombreux égards a symbolisé Wall Street, les électeurs de New York ont voté pour un candidat soucieux de privilégier les ménages aux revenus faibles et modestes. Comme de nombreuses autres villes des Amériques et du Monde, New York correspond bien à l’image d’un ‘récit de deux villes’. Cette perspective autorise des observateurs à s’interroger sur l’exemplarité de cette ville dans un monde globalisé et urbanisé concerné par des mobilisations sociales locales.  Â
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