Institut des Hautes Etudes de l'Amérique latine
Centre de recherche et de documentation sur les Amériques

Édito

"Brumadinho, 3 ans après : cicatrices minières et enjeux de sécurité"

Léa Lebeaupin-Salamon

 

 

"Brumadinho, 3 ans après : cicatrices minières et enjeux de sécurité"

 

 

© Commémorations pour les trois ans de la rupture du barrage à Brumadinho.

Des enfants observent le lancer de ballons en mémoire des victimes. 25 janvier 2022, photo de l’autrice.

 

Par Léa Lebeaupin-Salamon,

Doctorante en science politique au CREDA UMR 7227.

 

 

Ce 25 janvier 2022, le centre-ville de Brumadinho (Minas Gerais, Brésil) était rempli de camions de télévision qui diffusaient en direct les commémorations de la rupture du barrage intervenue trois ans auparavant. Les différents journalistes présents s’attendaient à voir apparaître les candidat·e·s à l’élection présidentielle prêt·e·s à y faire des discours. Finalement, étaient présents quelques syndicats, membres de mouvements sociaux, habitant·e·s de la ville et surtout le collectif Avabrum qui regroupe les familles de victimes décédées[1]. Lorsque les organisateur·ice·s ont lancé les 270 ballons en hommage aux défunt·e·s, les enfants se sont placés devant. Les familles endeuillées se sont rapidement retirées et après quelques mots des organisations religieuses, les médias sont retournés à Belo Horizonte, la capitale de l’État. La place centrale de Brumadinho où sont en permanence disposées les photos des victimes est revenue à son calme habituel, loin de l’effervescence attendue par certains mouvements sociaux et espérée par certaines victimes en attente de décisions judiciaires.

 

 

Le 25 janvier 2019, à 12h29, le barrage minier B1 de la mine Corrego do Feijão s’effondrait et les coulées de résidus miniers toxiques emportaient 270 victimes sur leur passage. La plupart des personnes décédées étaient des employées de la mine qui déjeunaient dans le réfectoire, juste en dessous du barrage. La boue toxique l’a atteint en moins de 30 secondes, comme les plans d’évacuation d’urgence l’avaient anticipé. L’entreprise Vale, propriétaire de la mine, avait été avertie depuis 2017 par des audits internes de l’instabilité dangereuse de son barrage et, pourtant, les sirènes n’étaient pas activées ce jour-là. Les différentes commissions d’enquête parlementaire (CPI) organisées après l’événement ont requis la condamnation des dirigeant·e·s de l’entreprise pour homicides volontaires[2].

La rupture du barrage de Brumadinho n’est pas le premier événement tragique impliquant les barrages de résidus miniers. Le 10 septembre 2014, à Itabirito, ville voisine de Brumadinho, la rupture du barrage connu sous le nom d’Herculano tuait trois employé·e·s et en blessaient cinq autres. Le 5 novembre 2015, la structure du barrage minier du Fundão, dans la ville de Mariana à 75 kilomètres de Brumadinho, s’est également effondrée, déversant 44 millions de mètres cubes de boue toxique sur le quartier de Bento Rodrigues, laissant 19 mort·e·s. Cette boue contaminée de métaux lourds a ensuite atteint le fleuve du Rio Doce puis l’océan Atlantique avec des conséquences irrémédiables sur les sols et les eaux. Les victimes collatérales de la pollution et des dégâts matériels se comptent par milliers[3]. À ce jour, les entreprises n’ont pas été condamnées et les riverain·e·s n’ont pas été indemnisé·e·s.

Il y a quelques semaines encore, le 13 janvier 2022, c’est la mine du Pau Branco, à quelques kilomètres de Brumadinho, de l’entreprise française Vallourec, qui a effrayé la population riveraine lorsque le barrage de résidus a débordé sur l’autoroute lors d’un épisode pluvieux.

 

 

Le 25 janvier est devenu un jour férié dans la municipalité de Brumadinho, en mémoire des 270 victimes disparues. Mais trois ans après cet épisode tragique, commémorer l‘événement devrait aussi permettre de tirer la sonnette d’alarme sur les risques de futurs accidents. Les dernières données actualisées par l’Agence nationale de l’industrie minière (ANM) recensent 447 barrages de résidus miniers au Brésil, dont 350 uniquement dans le Minas Gerais, État historiquement le plus exploité au Brésil pour la richesse de ses sous-sols. Sur ses 350 barrages[4], 37 sont considérés comme instables, dont 12 avec un risque de rupture imminente. Les barrages de résidus miniers sont des lieux de stockage de minéraux écartés, des poubelles à ciel ouvert sans valeur marchande. Afin de réduire leurs coûts de construction et de manutention, les industries minières brésiliennes ont développé la méthode « montante »[5] dans les années 1970 avant qu’elle ne soit interdite dans les années 2010. Or, ces barrages construits rapidement il y a presque cinquante ans arrivent au bout de leur capacité : ces cicatrices minières arrivées à péremption constituent désormais un risque majeur pour les populations locales et pour les sols et fleuves de la région.

Un rapport d’audit publié avant la tragédie considérait le barrage B1 de Brumadinho comme « sans risque ». Selon les enquêtes de la police, qui correspondent également aux résultats des différentes commissions d’enquête parlementaire (CPI), l’entreprise a occulté des informations sur la sécurité de ses barrages de manière systématique, en complicité avec l’entreprise d’origine allemande Tüv Süd qui a mené les audits. Pour falsification de documents officiels, conflits d’intérêts, et homicides volontaires, seize inculpés risquent entre douze et trente ans de prison[6]. Le procès prévu pour l’année 2020 a été repoussé à une date ultérieure en raison du contexte sanitaire.

 

 

L’ANM, l’agence de régulation minière, est en charge de la sécurité des barrages, de la prospection minière et des mines mais, dans le Minas Gerais, les moyens réduits octroyés par le gouvernement fédéral ne lui permettaient, en 2019, que d’employer cinq agents, ce qui est tout-à-fait insuffisant pour réaliser les visites qui permettraient d’assurer la surveillance effective de 350 barrages. Le gouvernement fédéral refuse d’accorder à l’agence les ressources propres suffisantes. De ce fait, avant 2019, elle n’employait que cinq personnes. Le jour de la rupture du barrage à Brumadinho, les voitures de l’agence étaient bloquées à Belo Horizonte car la direction n’avait pas les fonds nécessaires pour faire le plein d’essence. L’ANM dispose d’un système de contrôle en ligne mais il se base uniquement sur des données, souvent falsifiées[7], fournies directement par les entreprises elles-mêmes, dont les intérêts sont protégés par des autorités fédérales et locales. Le secteur minier dans le Minas Gerais est le premier contributeur au PIB et le premier contribuable des municipalités via un système fiscal de compensations financières versées directement aux autorités locales (CFEM). L’absence de fiabilité du système de surveillance des barrages s’explique largement par les collusions d’intérêts financiers et politiques. Lors des élections législatives de 2014 dans le Minas Gerais, presque huit député·e·s élu·e·s sur 10 (78,4 %)[8], avaient reçu, à un moment de leur campagne, une dotation financière de la part de Vale, l’entreprise anciennement publique propriétaire de la majorité des mines de l’état. Dès 2015, après la rupture du barrage de Mariana, la proposition de loi « Mar de lama nunca mais » (« inondation de boue, plus jamais »), sur la sécurité des barrages, a été présentée par des députés du Parti des travailleurs (PT) à l’Assemblée législative de l’État du Minas Gerais. Elle prévoyait la surveillance accrue des barrages, la destruction des structures dangereuses au profit de méthodes alternatives de récupération des déchets miniers ainsi que des mesures de prévention concernant les bâtiments et maisons habitées dans les zones inondables. Le projet n’a été adopté par l’Assemblée législative du Minas Gerais qu’à la fin de 2019, soit après le désastre et la prise de conscience plus large des risques[9].

 

 

À quelques mois de l’élection présidentielle au Brésil, prévue pour octobre 2022, commémorer la rupture du barrage de Brumadinho soulève des enjeux sécuritaires primordiaux pour les Mineiros puisqu’aujourd’hui encore, les entreprises minières n’ont aucune obligation à informer la population qui habite dans les zones inondables polluées. En outre, les routes situées en dessous des barrages instables ne sont pas signalées, ni pour les passant·e·s, ni sur les cadastres. Alors que l’été 2022 a connu des pluies extrêmes qui ont aggravé la situation des barrages, la campagne électorale ne s’est pas saisie de cet enjeu. Pourtant, le système de surveillance des quelques 450 barrages miniers au Brésil ne peut plus reposer sur les auto-déclarations des entreprises minières concernées. Une plus forte régulation de la part des organismes publics et un plus grand contrôle des entreprises propriétaires des cicatrices minières sont nécessaires pour assurer la sécurité des habitant·e·s du Minas Gerais. L’absence de discours politiques ou de dénonciations publiques des entreprises responsables lors des dernières commémorations, le 25 janvier, montre que ces risques ne sont pas encore pris en considération par les acteurs publics ou politiques.


[1] Julia Castello Goulart, Vidas que não se apagam, Mémórias de Brumadinho. São Paulo, Autonomia Literária, 2019.

[2] Quatre commissions d’enquêtes ont été organisées : par le Sénat, par la Chambre des député·e·s, par l’Assemblée législative du Minas Gerais, par le conseil municipal de Brumadinho.

[3] Conselho nacional dos direitos humanos (CNDH), Relatório sobre o rompimento da barragem de

rejeitos da mineradora Samarco e seus efeitos sobre o vale do rio doce, 2017. Accessible en ligne : https://www.gov.br/mdh/pt-br/acesso-a-informacao/participacao-social/old...

[4] Informations extraites du Système intégral de gestion des barrages miniers (SIGBM) le 18 février 2022. Accessible en ligne : https://www.gov.br/anm/pt-br/assuntos/acesso-a-sistemas/sistema-integrad...

[5] Peu utilisée en France, cette méthode est proche de celle des barrages en remblai. Elle consiste à utiliser le résidu minier lui-même comme fondation du barrage puis à attendre que les métaux lourds s’agglutinent au fond pour former une fondation plus stable et pouvoir déverser de nouveaux résidus miniers.

[6] Ragazzi, Lucas, Rocha Murilo, Brumadinho, a engenharia de um crime, Belo Horizonte, Letramento, 2019

[7] Rapport (152.108/MG) du Ministère public du Minas Gerais (MPMG) le 14 janvier 2022. Accessible en ligne : https://www.mpmg.mp.br/data/files/AD/A5/44/D3/FE29E710086F8CD7760849A8/R...

[8] Ces données sont issues de la Cour des comptes brésilienne : https://divulgacandcontas.tse.jus.br/

[9] A CPI da ALMG, Opção pelo risco, Causas e conquências da tragédia de Brumadinho, Belo Horizonte, ALMG, 2021.


IHEAL-CREDA 2020 - Publié le 25 février 2022 - La Lettre de l'IHEAL-CREDA n°63, mars 2022.

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