Villes et territoires métropolitains dans les Amériques: enjeux sociaux et environnementaux
Coordination :
Cynthia Ghorra Gobin (directeur de recherche)
Denis Merklen (professeur de sociologie)
PRÉSENTATION DE L'AXE
Cet axe est centré sur les territoires métropolitains et plus particulièrement sur leurs enjeux dans un monde caractérisé par une urbanisation galopante qui fait que la moitié de la population réside dans des villes et que les Amériques représentent le continent le plus urbanisé. Le territoire métropolitain, quelles que soient les modalités de son découpage ou sa taille --le recensement aux Etats-Unis a retenu l’appellation « territoire micropolitain » lorsque le chiffre de population de la ville centre n’excède pas 50.000 habitants--, se justifie notamment parce que c’est désormais à cette échelle que se joue l’ « avantage comparatif », soit la rivalité inter-métropolitaine dans un contexte caractérisé par la mondialisation et la globalisation. Le choix en faveur d’une insertion dans les flux économiques contraint de nombreux décideurs à privilégier l’attractivité territoriale au travers de politiques publiques centrées sur des opérations d’urbanisme et d’aménagement de prestige --parfois qualifiées de méga-- susceptibles d’attirer capitaux et classes créatives et ainsi d’assurer la bonne performance de la métropole dans les classements mondiaux. L’intérêt donné au registre économique façonné par l’idéologie néo-libérale ne va pas sans entraîner des répercussions dans le champ social et de nombreux conflits pour ce qui concerne les représentations et les usages liés à l’environnement. Les grandes métropoles constituent l’espace d’une « question sociale et environnementale urbaine ».
Si les territoires métropolitains ne sont pas tous identiques et s’il existe quelques différences entre ceux d’Amérique du Nord et d’Amérique latine (spatialisation de la pauvreté, organisation de l’habitat informel), ils présentent des similitudes dans un monde globalisé. Ils se caractérisent en effet au Nord comme au Sud par des enclaves riches et des secteurs de pauvreté (ghettos, favelas, quartiers informels, quartiers fermés) où vivent des populations peu intégrées dans les réseaux économiques formels ou encore complètement exclues. D’où l’intérêt d’expliciter les enjeux métropolitains à partir d’un travail de terrain mené aussi bien dans les villes et métropoles du Nord que du Sud et des pays émergents afin d’identifier, au travers du comparatisme, les convergences dans les processus ainsi que les écarts. Le recours au comparatisme comme moyen d’appréhender dans une même problématique des réalités étudiées jusqu’ici sur un mode fragmenté s’impose. De nombreux pays dans les Amériques sont caractérisés par le fédéralisme, ce qui permet de mettre en évidence, outre l’Etat fédéral ou central, l’imbrication de différents niveaux ou paliers de l’organisation territoriale pour assurer la durabilité des territoires métropolitains et prendre en compte les enjeux.
Sur le plan politique, la ville et la métropole ne sont pas seulement le « théâtre » premier de la vie politique nationale. La ville constitue le territoire même de la politique et ceci à plusieurs égards. Suite aux processus de territorialisation des politiques publiques et des politiques sociales, la ville est devenue un espace privilégié pour la mise en place des initiatives gouvernementales. En même temps, par le poids des métropoles dans la vie nationale et par le fait que la ville est le territoire « naturel » sur lequel se déploie l’essentiel de l’activité économique, culturelle et sociale ainsi que les conflits au sujet des usages de l’environnement naturel , la gouvernance urbaine est devenue un enjeu de taille et les innovations et les expérimentations en termes de gestion urbaine et d’exercice du gouvernement sont au centre des préoccupations politiques dans des nombreux pays. Ainsi, certains auteurs parlent de l’émergence d’une « citoyenneté urbaine » qui se présenterait comme un enjeu après l’institutionnalisation des droits civils, politiques et sociaux. Dans les métropoles de l’Amérique latine, l’informalité, la gestion des illégalismes, les trafics et la question de la violence impriment une caractéristique singulière à la question urbaine. Enfin, la ville se dessine comme le territoire par excellence du politique parce qu’elle représente l’espace public (au sens urbain, au sens médiatique et au sens proprement politique comme l’espace de la diversité et de la conflictualité démocratique) et parce qu’elle constitue l’espace privilégié des mouvements sociaux et de la mise en place de mécanismes de participation sociale et politique à des nombreuses échelles et sur de nombreux registres.
Les enjeux sociaux et environnementaux seront étudiés à partir de trois thématiques dont les problématiques peuvent être formalisées sur la base d’un travail de terrain mené aussi bien en Amérique du Nord et en Amérique latine :
■ l’offre et l’accès au logement et aux services publics urbains : Une question sociale et organisationnelle
En prenant pour objet le transport, le logement, la collecte et le recyclage des ordures ménagères, l’énergie ou les transports, l’analyse consiste à mettre en évidence les capacités d’innovation des acteurs (auto-organisation) relevant moins de l’informel que de coopératives ou d’associations (community-based corporations) flexibles et présentant des coûts de gestion inférieurs à ceux du secteur public formel. Par son impact sur les possibilités d’intégration sociale et politique, la question du logement occupe une place centrale associée à la question des services, notamment lorsque le point de vue n’est pas un point de vue surplombant et que la recherche adopte une démarche ethnographique pour saisir le point de vue de la vie quotidienne, des familles et de la projection des individus vers l’avenir. La tendance vers une dualisation des services urbains en vue de répondre à une demande extrêmement diversifiée est-elle susceptible de faire émerger un modèle « post-réseau » ? A l’heure où les budgets publics tendent à s’amenuiser, le Sud deviendrait-il à cet égard une référence pour les territoires métropolitains du Nord ?
■ L’environnement : conflits de représentations et d’usages
L’environnement a pendant longtemps été identifié comme une ressource naturelle dont l’exploitation revenait à l’Etat ou à l’Etat fédéré. Avec la perspective du développement durable l’environnement devient une préoccupation majeure des acteurs locaux y compris des habitants par rapport aux usages possibles. Si certains privilégient la préservation d’un cadre naturel au nom de la biodiversité des écosystèmes naturels ou encore l’agriculture urbaine, d’autres se préoccupent de la sociabilité de loisirs des espaces péri-urbains (aménités) ou de la défense de leurs intérêts patrimoniaux, ce qui empêche toute politique publique en faveur d’aménagements (transports) assurant par exemple la mobilité des populations contraintes de vivre éloignés de leurs lieux de travail. La participation des acteurs locaux aux plans d’urbanisme est-il un moyen d’œuvrer dans la perspective de la durabilité ? Quels sont les principaux arguments autorisant à définir la durabilité métropolitaine ?
■ Les recompositions territoriales : du retour vers la ville et de la production de la ville périphérique
Les territoires métropolitains qui incluent les espaces de la ville, des banlieues ainsi que des périphéries font l’objet de critiques de la part de ceux qui remettent en cause l’étalement urbain (urban sprawl) au détriment des surfaces agricoles et des espaces verts naturels. Aussi pour de nombreux observateurs la lutte contre l’étalement urbain passe par un aménagement revalorisant la densité, la centralité et la qualité des espaces publics et par un déplacement des populations suburbaines pour les quartiers centraux. Aux Etats-Unis, le retour des populations suburbaines en ville -qualifié de « smart growth » - désigne une politique d’aménagement prônant la mixité des fonctions et le recours aux méthodes du « new urbanism ». Cette tendance –concernant principalement les classes aisées- s’observe aussi bien dans les métropoles d’Amérique latine et d’Amérique du Nord. Conduit-elle à assurer la durabilité métropolitaine ?
La production de la ville périphérique se poursuit en se traduisant principalement par l’implantation de lotissements de logements sociaux (Mexique, Brésil) suite à une politique publique initiée à l’échelle de l’Etat fédéral ainsi que par l’arrivée de nouvelles activités relevant du secteur informel. Les ‘nouveaux’ quartiers présentent le sérieux inconvénient d’accroître la complexité du tissu péri-urbain et de ne pas permettre aux habitants d’avoir un accès aisé vers les zones d’emplois situées dans la ville centre ou dans les banlieues proches. D’où le sérieux enjeu pour assurer la connectivité entre les différentes parties du territoire métropolitain.
La mise en perspective de l’expérience métropolitaine en Amérique du Nord et en Amérique latine au travers de l’analyse des enjeux sociaux et environnementaux permet de souligner la similitude de dynamiques urbaines à l’heure de la mondialisation et de participer aux controverses scientifiques sur la durabilité métropolitaine.
SÉMINAIRES DE L'AXE
L’axe de recherche –Villes et territoires métropolitains dans les Amériques : Enjeux sociaux et environnementaux— a organisé une journée d’études (ouverte à tous) consacrée au comparatisme en tant qu'outil conceptuel et méthodologique » le jeudi 6 février 2014. Retrouvez la présentation de cette journée et les résumés des interventions.
RÉFÉRENCES
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• Emelianoff C., Stegassy R., (2010), Les pionniers de la ville durable. Récits d’acteurs, portraits de villes en Europe, Autrement, Paris.
• Frugg G.E. (2001), City Making. Building Communities without Building Walls, Princeton University press.
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(de) MATTOS, Carlos, DUCCI, María Elena, RODRIGUEZ, Alfredo y YAÑEZ WARNER, Gloria (editores), (2004), “Santiago en la globalización, ¿Una nueva ciudad?”, Ediciones Sur, Eure Libros, Santiago.
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