Institut des Hautes Etudes de l'Amérique latine
Centre de recherche et de documentation sur les Amériques

Édito

L'IHEAL au temps au Covid-19

Comité de direction de l'IHEAL

 

 

'L'IHEAL au temps du Covid-19'

 

 

Comité de direction de l'IHEAL

 

 

Cher.e.s étudiant.e.s, collègues et amis de l’IHEAL,

 

Comment vit l’IHEAL à l’heure du virus COVID 19 ? A l’heure où des milliards d’hommes, de femmes et d’enfants ferment les portes de leurs maisons et les frontières de leurs pays pour ralentir l’épidémie, protéger leurs concitoyens les plus fragiles et éviter de surcharger les hôpitaux, comment l’IHEAL poursuit-il ses missions d’enseignement, de recherche, de suivi des stages, de publication et de coopération internationale ? Comment continuer à bâtir un monde sans frontières, plus solidaire et respectueux de l’environnement ? Rendre gratuit l’accès à nos collections d’ouvrages et remplacer l’agenda par des textes d’analyse et une revue de presse du 8 mars dans le monde, voici les premiers signes de notre adaptation.

 

Notre priorité est surtout de prendre des nouvelles des uns et des autres et de nous soutenir mutuellement, entre collègues et entre étudiants. Nous échangeons par messagerie et visioconférence entre administratifs et enseignants afin de nous coordonner et nous adapter à cette situation inédite. Nous mettons en place de nouvelles manières de travailler et de nouveaux outils que nous conserverons peut-être à l’avenir ! Nous avons à faire preuve de créativité pour que la relation pédagogique à distance permette à chaque étudiant.e d’être en situation de se dépasser et de réussir en fonction des conditions de confinement ou d’obligation de travailler dans lesquelles il.elle se trouve. Mais sans fausse illusion : l’enseignement à distance ne s’improvise pas, c’est un métier en soi et rien ne remplace l’enseignement en présence. L’injonction à la « continuité pédagogique » ne doit pas nous faire perdre de vue l’essentiel : c’est la qualité des apprentissages, leur pertinence par rapport au moment présent et leur profondeur pour l’avenir qui importent.

 

Notre priorité est d’accepter un rythme collectif ralenti sans jamais cesser d’interroger le monde pour mieux le comprendre. Les anthropologues ethnographient nos manières de vivre le confinement, la maladie et la mort ; les économistes réfléchissent aux conséquences de la crise sanitaire sur la production, le commerce, les finances, les inégalités sociales et de genre, l’interdépendance planétaire ; les historiens nous rappellent les expériences de la grippe de 1918 ou des épidémies américaines tandis que les géographes dessinent les cartes de l’expansion du virus.  Les politistes scrutent les mesures gouvernementales pendant que les sociologues documentent et analysent les faits sociaux réels et virtuels en cours. Plus généralement, toutes les disciplines doivent nous aider à réfléchir aux transformations politiques, institutionnelles et sociétales que cette crise inédite devrait induire. Plus que jamais nous avons besoin de conjuguer les savoir-faire des sciences sociales pour prendre la mesure de ce qui se passe, en adoptant une approche globale, des deux côtés de l’Atlantique, en Europe et en Amérique latine.

 

La vague de l’épidémie touche les rivages de l’Amérique latine et des Caraïbes de proche en proche. Or quel est ce proche ? Alors même que les liens avec l’Asie via le Pacifique se sont intensifiés ces dernières décennies, la contagion n’arrive pas directement de Chine (sauf pour le Chili) mais passe par l’Europe (en particulier l’Italie), les Etats-Unis puis entre pays latino-américains. Nous lisons ici en creux les liens anciens avec la méditerranée et les liens migratoires plus récents avec l’Amérique du nord. La région sera sévèrement touchée par le COVID19 et par la récession globale qui en découlera. Le recul des exportations, la chute brutale du tourisme et la désorganisation des chaines globales de valeur, entre autres, vont affecter négativement les économies et les sociétés. La pauvreté et les inégalités –problèmes endémiques de la région- vont s’aggraver, la situation des secteurs les plus vulnérables va se dégrader avec des effets sur le plan socio-politique. Nous suivrons les réponses qu’apporteront les gouvernements et les sociétés face à cette pandémie et ses conséquences économiques et sociales.

 

Dans ce contexte, la prise de position du dernier conseil de gestion de l’IHEAL le 2 mars 2020 dernier prend une force particulière : « l’IHEAL, en tant qu’acteur historique de la coopération universitaire entre la France et l’Amérique latine est plus que jamais attaché au principe d’égalité entre étudiants français, européens et latino-américains devant les frais d’inscription ». Faire payer des frais d’inscription plus élevés aux étrangers est un mauvais calcul économique. Redisons-le : ils payent la TVA et le plus souvent des impôts lorsqu’ils viennent étudier et travailler en même temps en France. Mais c’est surtout un retour en arrière sur les principes de liberté, égalité et fraternité pour lesquels la France est connue et admirée en Amérique latine. La crise sanitaire, économique et sociale que nous affrontons aujourd’hui nous conduira, nous l’espérons, à retrouver le sens de nos valeurs fondatrices.

 

Mieux que jamais nous ressentons, corporellement, la valeur du service public, de l’hôpital public, de l’université publique. Nous regrettons que la pure logique comptable et managériale ait conduit à fermer de si nombreux lits en réanimation, à réduire et encore réduire les emplois dans les hôpitaux au point que nos soignants sont en épuisement professionnel avant même la première bataille du COVID-19. Aujourd’hui, en temps de guerre contre l’épidémie, nous mesurons mieux la nécessité d’un corps de fonctionnaires bien organisé, pérenne et réparti de manière égale sur tout le territoire. Enfin, peut-être va-t-on arrêter de d’abord chiffrer et budgéter chaque geste médical pour en revenir au sens de la mission, de la vocation, du métier et anticiper une future crise. Enfin, nous redisons notre confiance aux personnels de santé fonctionnaires qui ne comptent pas leurs heures et exposent leur propre santé pour sauver les vies de tous et toutes. Les réformes des retraites, du chômage et de la recherche sont suspendues. Enfin ! Puisse le gouvernement avoir la sagesse de suspendre toute réforme pendant au moins une année et prendre le temps de tirer de réels enseignements de cette crise sanitaire mais aussi éducative !

 

De chacun.e de nos studios, appartements parfois maisons, en ville ou à la campagne nous continuons à « faire IHEAL » d’une autre manière. Certain.e.s étudiant.e.s ont choisi de rester aux Etats-Unis, en Afrique ou en Amérique latine pour leur stage et/ou leur terrain. D’autres attendent, non sans une certaine angoisse, que les consulats et les compagnies aériennes s’organisent pour pouvoir rentrer. D’autres encore sont auprès de leurs familles ou avec leurs amis en France dans des conditions très inégales d’accès à internet et à un espace-temps de travail apaisé. Certains ont de lourdes obligations familiales. Le confinement, à première vue, exacerbe les inégalités de genre et de classe. Puissions-nous les prendre en compte avec intelligence et finesse à l’heure de préparer des cours, d’étudier, de corriger… et de préparer la société de demain. Dans tous les cas, donnez-nous des nouvelles et prenez soin de vous et de vos proches. Nous ne manquerons pas de vous informer dès que Condorcet sera rouvert et que nous pourrons nous y retrouver !


© IHEAL-CREDA 2020 - Publié le 31 mars 2020 - La Lettre de l'IHEAL-CREDA n°40, avril 2020.

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