Edito
Édito
"Politiques culturelles en Amérique latine, regards croisés avec la France"
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La culture comme objet d’intervention et de débat public. Notes et réflexions à propos de la Journée d'études :Â
"Politiques culturelles en Amérique latine, regards croisés avec la France"
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Alejandro Gorr,
Doctorant en sciences sociales
SAGE - UNISTRA / IIGG - UBA
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Quels sont les principaux axes des politiques culturelles à l'heure actuelle ? Est-ce la démocratisation ? La participation ? Se concentrent-ils sur les droits culturels, la lutte contre l'inégalité ? Concernent-ils les cultures communautaires, émanant des communautés locales et de localismes globaux ? La culture peut-elle (encore) s'engager dans un projet politique général, que ce soit national, régional ou international ? Quel est le modèle d'État qui est en jeu ? L'institutionnalisation fait-elle partie de l'agenda des politiques culturelles ? La crise actuelle des politiques culturelles est-elle porteuse d'opportunités ? Voici les questions avec lesquelles Eduardo Nivón Bolán a clôturé la première édition de la Journée d'étude, « Politiques culturelles en Amérique latine, regards croisés avec la France », organisée à l’IHEAL par des doctorant·es de la Sorbonne Nouvelle (CERLIS et CREDA), de l’Université de Buenos Aires et de l’université Strasbourg (SAGE)[1], et qui a eu lieu le vendredi 21 avril 2023 sur le Campus Condorcet à Aubervilliers, avec le soutien de l’Institut des Amériques, du CREDA, du CERLIS et de l’IHEAL. Une édition inaugurale et inédite, dont l’ambition a été d’établir un dialogue international et transdisciplinaire autour des enjeux de la culture comme objet d’intervention publique en Amérique latine, en dialogue avec l’expérience française. Si l’événement a été conçu dans un cadre universitaire, il a été préfiguré dans le but d’établir un espace d’échange et de réflexion entre des acteur·ices issu·es de différents univers : des chercheur·euses en sciences humaines et sociales, des fonctionnaires ayant une expérience dans la gestion culturelle et le gouvernement, et des militant·es lié·es à des organisations et des mouvements culturels et politiques.
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Dans un premier temps, la question de la genèse et de l'évolution socio-historique des formes, des modèles et des pratiques gouvernementales dans le domaine de la culture en Amérique latine a été abordée à partir de cas concrets. La première table ronde, intitulée « Processus d'institutionnalisation et modalités d'intervention publique de la culture en Amérique latine », a étudié les cas du Mexique et de l'Argentine, avec l'intervention d'Élodie Bordat-Chauvin (Institut d'études européennes, Paris 8), du Paraguay, avec celle de Mariano Zamorano (CECUPS/Université de Barcelone), et du Pérou, avec celle de Guillermo Valdizán (Universidad Nacional Mayor de San Marcos, Pérou). Ces recherches montrent que l'action publique dans le domaine de la culture, loin d'être une catégorie transhistorique, est le produit de processus complexes où interviennent les trajectoires historiques des États et des administrations, les configurations des champs politiques et culturels locaux, les relations entre ces espaces sociaux liés à des conjonctures particulières, ainsi que l'importation et la circulation de modèles et le rôle des organisations internationales. La lutte pour les modèles, les instruments, les logiques de financement, les programmes, les catégories, les cadres discursifs et les pratiques d'intervention (que ce soit autour de la démocratisation culturelle, de l'égalité et de l'inclusion sociale par la culture, de la diversité et de la plurinationalité ou du modèle néolibéral) est une composante fondamentale des processus susmentionnés et a donné lieu à de riches débats.
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Sur la base de l’exposé d'Élodie Bordat-Chauvin, et non sans résonnance avec les deux autres interventions, une série de questions a été soulevée : quelles ont été les conditions sociales et historiques de la possibilité de l'institutionnalisation des politiques culturelles dans les cas étudiés ? Quelles sont les catégories d'analyse, les principes explicatifs et les indicateurs mobilisés pour l'analyse de ces phénomènes en Amérique latine ? Quel est, pour chaque cas, le rôle de l'État et de ses formes historiques ? Du point de vue de la circulation régionale et internationale des modèles, des isomorphismes, des transferts et des effets de conjoncture régionale, un autre débat a été ouvert par le cas paraguayen étudié par Mariano Zamorano posant la question de l'existence ou non d'un "modèle latino-américain" de politiques culturelles. Enfin, l'intervention de Guillermo Valdizán, qui ajoute à son point vue de chercheur celui de militant et coordinateur du mouvement Cultura Viva Comunitaria au Pérou, a proposé une analyse de l'institutionnalisation des politiques culturelles dans l'histoire du Pérou, à partir d'une perspective inspirée de la tradition critique et matérialiste des travaux d'Antonio Gramsci et de José Carlos Mariátegui, ouvrant un autre débat sur la pertinence de ces approches, ainsi que celle d'autres perspectives et catégories importées d'Europe et du Nord global.
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La deuxième table ronde, intitulée « Mobilisation des acteurs culturels et leurs rôles dans la production des politiques culturelles en Amérique latine », a eu pour objectif d'aborder la question des organisations, des mouvements culturels et des politiques en marge de l'intervention publique, ainsi que leur lien avec l'État et la politique dans des contextes parfois peu institutionnalisés. La table ronde a été ouverte par Victor Vich (Pontificia Universidad Católica del Perú), qui a repris la notion d'interculturalité, à la fois comme catégorie d'analyse et comme catégorie d'action publique, l’exerçant à une critique du "culturalisme" tout en en proposant une "déculturation", dans la logique des thèses bien connues de cet auteur. Son intervention a été suivie par celles de Mario Murillo (Universidad Mayor de San Andrés, Bolivie) portant sur les enjeux politiques, artistiques et culturels des initiatives d’extension universitaire pendant la transition démocratique bolivienne, et de Romina Sánchez Salinas (UNCuyo, Argentine), qui a abordé la question de l’auto-gestion d'un espace théâtral communautaire dans une localité de Mendoza, en Argentine, en problématisant la catégorie de "politiques participatives" à la lumière des tensions occasionnées avec une municipalité dans une logique de "confluence trompeuse". Enfin, Juan Brizuela (Universidade Federal da Integração Latino-américana, Brésil) a proposé une analyse des "émergences" et des "événements culturels" dans la municipalité bahianaise d'Alagoinhas.
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La densité des analyses et des expériences des cas présentés a permis de dégager des éléments pour le débat. Le positionnement et les modalités d’action des acteurs culturels et des mouvements concernés ont été abordés en relation avec les différents modes d’intervention dans le domaine de la culture et face à l’action de l’État, ou de son absence. Il a également été question des conflits communautaires et du communautarisme en Amérique latine, face aux processus d’institutionnalisation et de désinstitutionnalisation de l’action publique, à la lumière des transformations sociales contemporaines, telles que l’influence croissante de certains acteurs du monde religieux sur la politique partisane et les pratiques culturelles. En somme, le rôle de ces mouvements et organisations dans la production et l’institutionnalisation de l’action publique en matière de culture a été mis en discussion.
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Le troisième et dernier axe fut consacré au dialogue entre la France et l’Amérique latine, sous la forme d’une table ronde intitulée « Politiques et modalités d’intervention publique de la culture, entre la France et l’Amérique latine ». Le premier intervenant a été Federico Escribal (Universidad de Tres de Febrero, Argentine), qui a développé une analyse critique du fédéralisme et de la décentralisation à partir du cas argentin. Mauricio Bustamante (Universidad Nacional de Educación, Equateur) a ensuite présenté une analyse socio-historique de l’influence de l’UNESCO sur les processus d’institutionnalisation de la politique culturelle en Amérique latine, à l’appui d’une modélisation des politiques culturelles dans le monde. Enfin, Yohann Turbet Delof (Université Sorbonne Nouvelle – LIRA) a réalisé une analyse comparative de certains aspects des politiques culturelles au Pérou et en France. La comparaison des processus et des modèles a été l’un des éléments saillants de cette dernière étape de l’événement. En effet, outre la perspective de recherche en sciences sociales, le débat a été enrichi par la diversité des points de vue des intervenant·es, comme celui de Federico Escribal, qui, au-delà de son parcours universitaire, possède une expérience à la tête de la Direction nationale de la promotion des droits culturels et de la diversité culturelle du ministère argentin de la culture, ou de celui de Yohann Turbet Delof, ancien directeur général de l’Alliance française de Lima, actuellement directeur de la culture de la ville de Saint-Denis. Pour clôturer la journée d’étude, Eduardo Nivón Bolan (Universidad Autónoma Metropolitana, Mexique), référence inéluctable en la matière, a développé un contrepoint entre les processus d’institutionnalisation et les modèles de politiques culturelles du Mexique et de la France, en mettant l’accent sur les défis contemporains auxquels sont confrontés le pays mésoaméricain et son processus de transition, ainsi que le reste de la région latino-américaine.
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La participation de figures de référence dans le domaine, ainsi que la richesse des thèmes abordés et la qualité des débats, constituent un clair indicateur de l’intérêt suscité par ces problématiques, et de la pertinence de cet événement. Néanmoins, on ne saurait éluder certaines difficultés et enjeux liés à la réalisation de cette entreprise, en particulier du fait de sa tenue en une seule journée avec le concours d’intervenant·es connecté·es depuis l’Amérique latine, confronté·es aux vicissitudes de la modalité à distance et aux contraintes des décalages horaires. D’autre part, bien que cette journée d’étude se soit voulue polyphonique, certaines voix sont restées relativement sous-représentées, comme celles issues du militantisme et des multiples mouvements culturels. Finalement, l'inégale circulation des savoirs et des expériences entre la France et l'Amérique latine reste un défi majeur, qui s'exprime dans les limites et les biais épistémologiques et idéologiques dont témoigne la réflexion sur les politiques culturelles, sur la culture comme catégorie d'intervention publique et sur les mouvements culturels en Amérique latine[2]. Ces défis rendent d'autant plus évidente la nécessité d'amplifier et de multiplier ces espaces d’échange et ces initiatives sensibles aux enjeux profondément politiques de la culture en tant qu'objet d'intervention.
[1] L’événement a été organisé par Ana Valenzuela (Sorbonne-Nouvelle, CERLIS), Baptiste Mongis (Sorbonne-Nouvelle, CREDA - UNSAM / IDAES) et Alejandro Gorr (Université de Strasbourg, SAGE - Universidad de Buenos Aires, IIGG). Pour accéder aux contenus de la journée d'étude, voir « Politiques culturelles en Amérique latine », Jornada de estudio, Calenda, Publié le mercredi 19 avril, https://calenda.org/1068074.
[2] Problème qui s'exprime, pour ne citer qu'un exemple mineur, dans la difficulté à traduire des catégories, expériences et concepts tels que la notion de "communauté" ou de "communautarisme", dont les significations et les valeurs diffèrent fortement dans les deux contextes. Ce type de réflexions a été reprise par Lionel Arnaud, qui propose les concepts de "l’agir culturel" et de "mouvements culturels" pour la caractérisation et l’analyse de ces phénomènes en France et dans ses territoires coloniaux. Voir Lionel Arnaud, Agir par la culture. Acteurs, enjeux et mutations des mouvements culturels, Toulouse, Éditions de l'Attribut, 2018.
IHEAL-CREDA 2023 - Publié le 12 mai 2023 - La Lettre de l'IHEAL-CREDA n°75, mai 2023.
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